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souvenirs romains qu’il réveillait, pouvait offenser les Bulgares et les Serbes, et on adopta celui de yougoslave, c’est-à-dire slave méridional, le mot youg signifiant le sud.

Peu de temps après, Jellachich donnait le signal de la guerre civile, et lançait sur les Magyars les Slaves des régimens-frontières, dont on exploitait les haines aveugles et l’obéissance passive. Les Croates furent très mal récompensés de leur dévouement à l’Autriche. Il est vrai qu’on réunit à la Croatie le littoral de Fiume et même l’Ile, de Mur ; mais on ne lui accorda aucune des libertés qu’elle avait réclamées, et le ministère détesté de Bach leur enleva même l’autonomie, que ses anciennes institutions locales et son union avec la Hongrie lui avaient toujours garantie. Comme les Croates déçus le répétaient amèrement, on leur donnait pour récompense de leur dévouement le même régime qu’on imposait à la Hongrie en punition de sa révolte. Ils étaient préservés des envahissemens des ultra-magyars, mais ils avaient bien plus à se plaindre des tentatives de germanisation de la bureaucratie allemande. L’oppression leur était devenue si insupportable qu’ils saluèrent avec bonheur, eux les soutiens dévoués de l’empire, les défaites de l’armée autrichienne en Italie pendant la campagne de 1859.

En 1861, quand il s’agit d’envoyer des députés au parlement institué par la constitution de février, la diète de Croatie et de Slavonie reproduisit en substance les demandes faites par la diète de 1848 : réunion de la Dalmatie et des régimens-frontières et rétablissement des libertés locales ; d’un autre côté, elle se déclarait prête à s’entendre avec la Hongrie pour le règlement des affaires communes. Les motifs de discorde étaient si nombreux que l’accord ne s’établit sur aucun point. La diète d’Agram refusa d’envoyer ses députés à Vienne. Malgré un manifeste très habile et très sensé adressé aux Croates par Deák, l’entente avec les Magyars n’aboutit pas. Enfin la Dalmatie opposait à ses frères de Croatie la même résistance que ceux-ci offraient à toute tentative d’arrangement émanée soit de Pesth, soit de Vienne, et elle préférait envoyer ses représentans au parlement de M. de Schmerling plutôt qu’à la diète d’Agram. Le régime despotique et centralisateur inauguré par M. Bach continua de peser sur la Croatie. Toute l’administration était aux mains d’employés nommés par le gouvernement devienne et appuyés par les baïonnettes. L’ancienne organisation des comitats, ce boulevard des libertés, n’était pas plus respectée ici qu’en Hongrie. Les bureaux de la capitale gouvernaient ces contrées, dont ils méconnaissaient les mœurs, les besoins, les aspirations. En 1854, on avait été jusqu’à imposer par un rescrit l’emploi de l’allemand dans les écoles de l’enseignement moyen. C’était encore ce système