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sont les plus heureuses. Saint-Marin et le val d’Andorre sont les édens de l’Europe. Si donc la Hongrie pouvait simplement conserver ses limites actuelles, nous n’aurions qu’à l’en féliciter ; mais le pourra-t-elle ? Non, l’affaissement de l’empire turc et les mouvemens des Yougo-Slaves ne le lui permettront pas. L’éternelle question d’Orient la saisira malgré elle. Je crois qu’il est permis d’affirmer que la solution de cette question est entre les mains, non, comme on le répète, de la France, de l’Angleterre ou de la Russie, mais de la Hongrie, et que l’issue qu’elle aura dépendra de la politique suivie à l’égard de la Croatie. Ce point est si important pour l’Europe tout entière qu’il mérite quelques développemens.


IV

L’empire ottoman tombe. Sa chute est irrémédiable. Elle est lente, mais continue ; rien ne l’arrête, les réformes même la précipitent, et ce qui devrait sauver le croissant achève de le perdre. Il y a deux siècles à peine, les Turcs faisaient trembler l’Europe, et lançaient leurs janissaires jusqu’au cœur de notre continent ; aujourd’hui, sans l’appui de certaines puissances chrétiennes, ils n’auraient qu’à reprendre le chemin de l’Asie. Leur territoire diminue sans cesse ; ils ont perdu successivement la Hongrie, la Transylvanie, la Grèce, la Moldavie, la Valachie, la Serbie. Ce qui est bien plus grave, leur nombre décroît plus rapidement encore que leur territoire. Combien reste-t-il de Turcs en Europe ? Une poignée, peut-on dire, 1 million 1/2 en 1861, suivant la Société géographique de Vienne, 1 million suivant d’autres calculs. En Bosnie, il n’y a d’autres Turcs que les fonctionnaires ; les mahométans, qu’on rencontre au nombre de 400,000, sont des Slaves qui ont embrassé autrefois l’islamisme pour échapper aux persécutions des vainqueurs ; mais ils n’ont cessé de détester ceux-ci, et ils sont toujours les premiers à se révolter contre eux. Dans la Dobrudja, il y a un groupe compacte d’Osmanlis ; il s’en trouve aussi dans quelques villes de la Roumélie et de la Bulgarie, mais ils fondent avec une rapidité qui étonne. Le lieutenant-colonel Peale, consul d’Angleterre en Bulgarie, affirmait en 1864 que dans la partie de cette province au nord du Balkan leur nombre avait diminué de plus de 100,000 en dix ans. À ce compte, avant un demi-siècle, il n’en restera plus du tout. Le Turc ne manque pas de certaines qualités, et beaucoup de voyageurs le préfèrent au Grec ; toutefois il n’a point du tout celles qui font la force des états modernes. Il ne travaille pas et se multiplie peu. C’est tout le contraire de l’Anglo-Saxon, qui couvre le globe entier de sa progéniture et remue les eaux et la terre sous toutes les