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l’usage, d’après lequel ils se livreraient avec tout leur zèle pour diriger leurs diocèses par correspondance. Ce qui me détermina encore à me rendre à ces raisons, c’est que le chapitre de Liège n’avait pas cru devoir donner les pouvoirs à M. Lejeas, sous prétexte qu’il n’était plus dans le délai d’exercer ce droit. Il eût fallu entrer en discussion théologique avec un chapitre pour des pouvoirs de vicaire-général à donner à un évêque nommé ; cela n’eût pas été convenable… Tel est, sire, l’état des choses relativement à l’administration des diocèses dont les évêques n’ont pas de bulles. Si dans les circonstances actuelles votre majesté trouve convenable que les évêques nommés qui ont des pouvoirs des chapitres aillent dans leurs diocèses, il suffira qu’ils connaissent cette intention pour qu’ils s’empressent d’aller vous y donner comme partout ailleurs des preuves de leur dévouement et de leur reconnaissance[1]. »


Lorsqu’il s’informait ainsi des moyens de résoudre par quelque biais les difficultés résultant de ses démêlés avec le pape et de pourvoir par un expédient de circonstance à l’administration de vingt-sept diocèses français dépourvus d’évêques, Napoléon n’avait pas encore arrangé son mariage avec Marie-Louise. À peine eut-il remporté ce grand triomphe diplomatique, qui rendait à ses yeux sa position si forte en Europe, qu’il lui parut indigne de lui de s’abaisser jusqu’à garder encore des ménagemens envers le chef de la catholicité, quand il lui était si facile de tout enlever de haute lutte. Rien de bien extraordinaire dans cette pensée de Napoléon, car il est de tradition immémoriale en Europe que l’alliance politique de la France et de l’Autriche ne peut être que fatale au saint-siège. L’empereur cette fois le fit bien voir. À peine se fut-il assuré le concours de son futur beau-père, l’ancien roi des Romains, qu’il dévoila hardiment la marche qu’il se proposait de suivre en portant au sénat le sénatus-consulte du 15 février 1810, accompagné de cet exposé des motifs dont nos lecteurs n’ont peut-être pas oublié l’inconcevable arrogance. Quel était à cette époque de sa vie le but poursuivi par l’empereur ? Il est impossible de s’y méprendre, et M. Thiers, toujours si habile à démêler la véritable pensée du héros de son histoire, l’a clairement révélé au public. « Le projet de Napoléon, puisque le pape ne voulait rien lui céder, était de le mettre en présence de mesures déjà arrêtées sans sa participation. Dans deux mois, se disait-il à lui-même, je traiterai avec le pape, et il faudra bien, ou qu’il résiste, ce qui lui est impossible, ou qu’il s’arrange, ce qui le forcera d’accepter comme accomplis les changemens que j’ai apportés à l’état de l’église[2]. » Voici, toujours indiqué par M. Thiers, ce que l’empereur voulait faire accepter à

  1. Lettre de M. le comte Bigot de Préameneu à l’empereur, 7 décembre 1809.
  2. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XII, p. 75.