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quelques paroles eurent-elles été échangées au sujet des affaires particulières à l’Autriche, que les rapports qui existaient actuellement entre le pape et Napoléon furent de nouveau remis sur le tapis. De part et d’autre on sentait bien que c’était de cela surtout qu’au fond il s’agissait. Ce fut l’envoyé de M. de Metternich qui le premier provoqua les confidences de Pie VII en l’entretenant des dangers imminens dont l’église était menacée, et en lui demandant s’il ne ferait rien pour sortir de l’état d’inactivité et de nullité où il se trouvait présentement réduit. Le pape répondit : « Nous avions pressenti cet état de choses, c’est la seule pensée qui nous occupe. Cette interruption de toutes relations avec les clergés étrangers, la difficulté de nos relations avec les évêques français, sont le sujet de notre plus profond chagrin. Quoique détenu ici sans correspondance libre, sans nouvelles, excepté les nouvelles très vagues que nous puisons dans quelques feuilles détachées du Moniteur que le général (le comte César Berthier) a la complaisance de nous envoyer, nous avons bien jugé quels devaient être les embarras des évêques ; aussi n’avons-nous pas cessé de nous plaindre à ce dernier de notre situation sous ce rapport. C’est un vrai schisme établi par le fait. Nous ne demandons rien pour nous à l’empereur, nous n’avons plus rien à perdre. Nous avons tout sacrifié à nos devoirs. Nous sommes vieux, sans besoins. Quelle considération personnelle pourrait donc nous détourner de la ligne que notre conscience nous a prescrit de suivre ? Nous ne souhaitons absolument rien. Nous ne voulons pas de pension, nous ne voulons pas d’honneurs. Les aumônes des fidèles nous suffiront. Il y a eu d’autres papes plus pauvres que nous, et nous ne songeons à rien au-delà de l’enceinte étroite où vous nous voyez ; mais nous désirons ardemment que nos communications soient rétablies avec les évêques et les fidèles[1]. »

Alors le saint-père apprit à M. de Lebzeltern qu’on avait refusé de laisser venir auprès de lui son confesseur, Mgr Menochio, et le secrétaire des brefs, Mgr Torsa ; qu’il en avait été réduit à ériger en secrétaire l’un de ses domestiques dont l’écriture était lisible, et qu’il avait ainsi expédié à lui tout seul plus de cinq cents dispenses pour venir au secours des évêques de France dont les instances lui étaient parvenues. L’agent autrichien lui ayant exposé qu’il aurait peut-être mieux fait de rompre le silence et de manifester ses vœux à l’empereur des Français, qui sans doute en tiendrait compte : « il sait notre isolement complet, répliqua le saint-père. Nos plaintes et nos instances réitérées adressées au préfet et au général doivent lui être connues. » M. de Lebzeltern savait très bien que Napoléon souhaitait passionnément recevoir sous forme de supplique quelque

  1. Lettre de M. le chevalier Lebzeltern au comte de Metternich, 16 mai 1810.