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rien. Telle est en effet l’illusion commune aux souverains absolus. Ils s’exagèrent ordinairement la faiblesse de leurs adversaires autant que leur propre force. Volontiers ils s’imaginent qu’on n’osera rien tenter contre eux, et plus volontiers encore ils se figurent qu’ils déjoueront aisément les trames les mieux ourdies. Napoléon n’évita pas cette déconvenue réservée à tous les despotes. Il se l’était pour ainsi dire préparée à lui-même. C’était lui en effet qui, par les violentes persécutions dont il n’avait cessé d’abreuver, le saint-père, lui avait procuré une foule innombrable d’auxiliaires obscurs, parfaitement inconnus les uns aux autres, qui, sans provocation, sans entente préalable, sous la seule impulsion de leur foi chrétienne, ou par suite du simple attrait qui porte les âmes généreuses à prendre parti pour la victime contre l’oppresseur, n’aspiraient qu’à se faire à leurs risques et périls les instrumens dévoués du captif de Savone et de tous ceux qui souffraient pour sa cause. Comme il arrive fréquemment, les femmes avaient donné le premier signal.

Ce fut à l’occasion de l’emprisonnement des cardinaux noirs qu’une association présidée par l’abbé Duval se forma pour venir pécuniairement en aide à ces membres courageux du sacré-collège. Le duc de Montmorency, l’ami de Mme de Staël, figurait parmi les plus généreux donataires ; mais l’œuvre était surtout ardemment patronnée par la princesse de Chimay, la duchesse de Duras, la princesse de Poix, la marquise de Cordoue, Mmes de Saint-Fargeau, de Gros-Bois et de Croisie, qui s’étaient adjoint plusieurs ecclésiastiques, et parmi eux l’abbé Perreau, enfermé plus tard à Vincennes[1]. Cette première association, composée de l’élite de la société parisienne, et qui était en rapport, chose assez singulière, avec le cardinal Fesch par le canal de l’abbé Isoard, en avait bientôt fait naître une seconde. Le but des membres de cette nouvelle association était surtout de se mettre en rapport avec le saint-père à Savone, et de se faire, quand il en aurait besoin, les intermédiaires secrets des communications spirituelles qu’il jugerait à propos d’adresser tant aux cardinaux italiens détenus par l’empereur qu’aux évêques et aux curés de France demeurés soumis à sa juridiction souveraine. Les mêmes causes avaient tout naturellement produit en Italie les mêmes résultats. De l’un et de l’autre côté des Alpes, une foule considérable de personnes, des jeunes gens surtout, étaient incessamment prêts, sur la moindre réquisition, à se mettre nuitamment en route et à se transmettre de ville en ville les uns aux autres jusqu’à destination les missives pontificales

  1. Voyez la notice historique sur M. le chevalier de Thuisy dans la Biographie universelle, t. LXXX1V.