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elle allait au-delà de tout ce qu’il pouvait dire. » Cette philippique, que nous résumons en quelques lignes, ne dura pas moins d’un quart d’heure. Quand elle fut finie, tout le monde resta muet d’épouvante et de stupéfaction. M. Portalis était comme anéanti. À peine trouva-t-il à balbutier quelques paroles entrecoupées pour assurer qu’il ne croyait pas avoir manqué à ses devoirs en ne dénonçant pas personnellement un parent et un camarade d’enfance qu’il s’était d’ailleurs efforcé de retenir sur la pente dangereuse où il avait eu le tort de se laisser précipiter ; mais l’empereur, sans l’écouter, se mit avec une nouvelle véhémence à recommencer de plus belle sa terrible allocution. Alors se produisit un épisode qui ne laissa pas que d’étonner un peu l’assistance. Le préfet de police, M. Pasquier, profitant d’un moment de répit pendant lequel l’empereur s’arrêta pour reprendre haleine, eut le courage de se lever et de dire qu’il était de son devoir de compléter la défense de M. Portalis, de suppléer à ce que son émotion ne lui avait point permis d’exprimer. Il raconta l’avertissement donné par le directeur-général de la librairie, et dont il avait fait part lui-même au duc de Rovigo. « La confidence de M. Portalis excluait toute idée de trahison, et s’il fallait absolument qu’il y eût un coupable, peut-être le plus grand tort lui revenait à lui-même, qui n’avait pas tiré de cet avertissement tout le parti possible. » Ce court et généreux plaidoyer en faveur de M. Portalis ne parut faire aucune impression sur l’empereur, ou plutôt, à voir l’expression mécontente de son visage, on eût dit qu’il en était presque offensé. Ce n’était pas à M. Pasquier qu’il en voulait, ce n’était pas son préfet de police qu’il souhaitait intimider ni punir ; c’était le monde religieux et sincèrement catholique, c’était la société presque entièrement ecclésiastique où vivait habituellement M. Portalis. Quoique l’estimant peut-être davantage pour sa hardiesse, il savait mauvais gré à M. Pasquier de son incommode intervention ; elle ne pouvait d’ailleurs sauver celui qu’il avait d’avance choisi pour sa victime. Reprenant donc contre lui ses plus rudes invectives, à peine un instant interrompues, il termina la scène par ces foudroyantes paroles : Sortez, monsieur, et que je ne vous voie jamais devant mes yeux. Tel était l’état où cette dernière apostrophe avait mis M. Portalis qu’il quitta incontinent sa place, oubliant sur le bureau qui était devant lui son portefeuille et son chapeau, qu’il lui fallut plus tard envoyer reprendre par un huissier. L’impression de tristesse et d’effroi ressentie par tous les membres du conseil d’état fut si générale qu’aucun d’eux n’osa de quelque temps faire entendre sa voix dans cette salle où semblaient résonner encore les impitoyables accens du maître. M. Regnault de