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rhétoricqueurs, farcis de latin et de grec, dont Rabelais s’amuse par la bouche de l’écolier limosin, celle dont le petit Clément devait avoir l’honneur de faire bientôt bonne justice. Grâce à son fils, ce Jean Marot n’est pas tout à fait inconnu ; il assistait au siège de Gênes, à la suite du roi Louis XII, et avait composé et dédié à la reine Anne un grand récit en vers de cette campagne d’Italie. De là peut-être un surcroît de faveur qui lui avait permis d’inviter sa famille à venir le rejoindre à Blois et à Paris.

Mais la reine Anne s’en alla de ce monde, et le roi son époux n’eut rien de plus pressé que de mettre à la porte les comédiens, les baladins, même aussi les poètes, et Jean Marot comme les autres. Ce fut un bonheur pour Clément : son père avait entrepris de le dresser à l’art des vers, et Dieu sait si le pauvre enfant eût échappé à l’influence du gran rhétoricqueur, tandis qu’après cette disgrâce on le laissa chercher fortune et se pourvoir d’un état moins précaire que le métier de poète de cour. Il essaya de la basoche et recouvra sa liberté, battant le pavé des écoles et du palais. Quant à son père, ne pouvant vivre sans protecteur, il se tourna vers l’héritier du trône, monseigneur de Valois, qui venait d’épouser la fille aînée de la reine décédée : il lui adressa un rondeau désolé, et en obtint la grâce insigne d’être couché sur les états de sa maison.

L’écolier cependant, le basochien, devenait poète malgré lui, non par les procédés et les enseignemens paternels, par de meilleures leçons : il était amoureux, voulut peindre sa flamme et la peignit en vers. La belle, par malheur, ne goûtait pas cette musique. Elle était vertueuse ou coquette, Clément perdit son temps. « J’ai trop chanté pour elle, dit-il, trop sifflé, trop attendu devant sa porte. J’ai trop souffert, je quitte tout ; j’abandonne le don d’aymer qui est si cher vendu : je vais voir s’il y a encore quelque honneur à la guerre, et si les combats sont aussi rudes qu’une maîtresse. »

Le voilà donc laissant là le palais et courant la carrière des armes. Il devient page de messire Nicolas de Neuville, seigneur de Villeroy. Ce riche possesseur de la maison dite des Tuileries, qui allait quelques années plus tard passer aux mains de François Ier, avait grand crédit à la cour. Il était encore jeune, bien que déjà secrétaire des finances, ne manquait pas d’esprit, et se plaisait à protéger les lettres. Il prit son page en affection, en fit presque son camarade, encouragea sa muse encore timide, et prépara sa renommée en devinant son talent. Rien pourtant à cette première période ne laissait voir dans les vers de Clément grand espoir d’originalité. Il restait disciple de son père, lequel vivait toujours, et ne cessait d’inspirer à son fils le plus absolu respect. La poésie de ce