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figure, éclipsant tout ce qui l’environnait et semant autour de lui par ses regards et ses paroles la vie, la flamme, le talent, le dévouement et le succès. Ce qu’il faut reconnaître, ce qui n’est pas douteux, c’est que Marot est un autre homme, un autre poète, parle une langue plus ferme, plus précise, plus claire et plus correcte, une langue où le mot propre ne se fait pas attendre, quand c’est au roi qu’il adresse ses vers. On dirait qu’il n’est vraiment lui-même qu’en présence de cette majesté, qu’il a besoin du tête-à-tête avec son souverain pour oser devenir naturel, pour être à l’aise, pour se livrer à ses ébats, s’abandonner à son sourire, et, comme le dit si bien M. d’Héricault, « à ces élans de noble fierté qui relèvent si originalement sa malicieuse humilité. » Lisez l’épitre où il raconte au roi certain vol domestique, vrai ou faux, qui lui donne occasion d’implorer galamment les largesses royales, est-il dans notre langue, en ce genre de poésie légère, depuis La Fontaine et Voltaire jusqu’à Musset, beaucoup de vers plus fins, plus souples, plus délicats ? On ne peut pas dire que les pièces adressées à François Ier soient toutes également supérieures et l’emportent à ce même degré sur celles qui ne se recommandent que de plus modestes patrons ; mais dans toutes le ton et le langage sont plus francs et mieux inspirés, il est aisé de s’en convaincre, bien qu’à vrai dire et à mieux regarder ce soit non pas le roi, mais une autre influence plus souveraine encore qui ait répandu sur notre poète sa vivifiante inspiration.

Ici nous touchons au roman. Que Marot ait ressenti, dès son entrée peut-être chez la duchesse d’Alençon, et à coup sûr un peu plus tard, le charme tout-puissant qu’exerçait cette femme sur tous ceux qui s’en approchaient, aussi bien les plus fiers esprits que les plus nobles cœurs, il n’y a rien là de contestable ; mais les biographes n’y vont pas de main morte, et du moment que le poète, en sa prose et ses vers, leur apprend qu’il a soupiré, ils ont la certitude que ses soupirs ont été persuasifs, et sans autre scrupule ils vous font de Clément l’amant heureux de Marguerite. Ce n’est pas tout : comme avant sa passion pour la reine de Navarre et depuis l’amourette obscure et peu encouragée dont nous avons parlé plus haut nous savons que Marot eut le cœur pris assez longtemps par un objet mystérieux, peut-être de haut parage et à coup sûr du nom de Diane, voici selon les biographes ce qu’il faut en conclure : cette beauté S’était autre que Diane de Poitiers, c’est elle qu’aima Marot, et il en fut aimé. M. d’Héricault ne demanderait pas mieux, mais par malheur les dates sont inflexibles. Le bonheur de Marot remonterait à une époque où la future duchesse de Valentinois était encore un astre inconnu de la cour. Il eût fallu que le hasard fît