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de protéger, de garder la France avant tout, puis le roi, la reine, les princes, les dames, les défenseurs du royaume, en un mot toute la fleur de lys, il s’arrête et ajoute :

Doy-je finir l’élégie présente
Sans qu’un Dieu gard encores je présente ?
Non, mais à qui ? puisque Françoys pardonne
Tant et si bien qu’à tous exemple il donne,
Je dis Dieu gard à tous mes ennemys
D’aussi bon cœur qu’à mes plus chers amys.


Cet appel à la conciliation ne fut pas entendu. La guerre éclata bientôt, et sur-le-champ devint ardente. Les amis de Marot, les marotins, repoussèrent en riant, sous forme d’escarmouche, les lourds assauts des sagontins. On désignait ainsi les adversaires de notre poète, du nom de François Sagon, qui s’était fait leur chef. Ce personnage représentait les vieilles mœurs, la vieille société, les vieux débris du moyen âge, et affichait une sainte indignation contre les écrivains « lascifs et paganisans, » Marot tout le premier. C’était un honnête homme, mais un pauvre poète, aussi empesé qu’atrabilaire. On fit pleuvoir de part et d’autre les injures, les brocards, les calomnies, les hyperboles, et l’avantage, grâce à la forme, parut rester aux marotins. Le roi lui-même recouvra peu à peu l’affection, la confiance pour son cher et amé valet de chambre. On le voit en 1539 lui faire une grosse faveur, le don d’une « maison, grange et jardin, le tout enclos de murailles et situé au faubourg Saint-Germain, en la rue du clos Bonneau. » Dans l’acte de donation, le roi déclare qu’il entend récompenser les bons, continuels et agréables services du donataire, et lui donner « meilleure volonté de persévérer de bien en mieulx. »

On le voit donc, Marot avait fait taire ses ennemis, mais non sans perdre à la bataille quelque chose de son talent. Il avait dû forcer son naturel, éteindre sa joyeuse humeur, sa légèreté, son insolence, prendre des airs rangés, prêcher la paix et la concorde. Qu’en devait-il résulter ? Qu’une fois sur cette pente, peu à peu, insensiblement, il allait retomber dans les défauts de sa jeunesse, redevenir rhétoricqueur ; sa phrase allait quitter ses allures lestes et pimpantes, s’alourdir et se contourner, perdre la netteté, la précision en même temps que la grâce. C’était un enfant sans souci, le badinage était sa muse, la gravité ne lui pouvait venir que comme un masque et le faire grimacer. A chaque événement de certaine importance, il se croyait, comme autrefois, tenu de faire son épître : mais c’était froid et compassé. La réunion de Nice, la visite de la