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ministère. Ce sont pour la plupart des pâtres et des laboureurs sans aucune culture littéraire, dit le correspondant d’Écolampade. On les envoie d’abord au séminaire, où ils passent les mois d’hiver pendant trois ou quatre ans, occupés à des tours de force de mnémotechnie, apprenant par cœur des livres entiers de la Bible ; puis ils sont placés « dans un lieu où ils habitent avec des femmes appelées sœurs, qui passent leur vie en virginité. » Après une année ou deux de cette épreuve, qui trahit un reste d’ascétisme albigeois, le candidat vainqueur, fortement trempé contre les faiblesses de la chair, est enfin reçu dans l’ordre par l’imposition des mains et la communion eucharistique, et on l’envoie dans son ministère sous la conduite d’un plus ancien dont il est comme l’ombre, marchant avec lui, assis à ses côtés devant l’assemblée, parlant lorsqu’il a parlé, obéissant en toute chose, « non par crainte de pécher, dit le barbe, mais pour l’honneur de la discipline. » Cette coutume singulière d’aller évangéliser deux à deux, l’un soumis à l’autre, imitée plus tard par la chevalerie errante du jésuitisme dans une intention d’espionnage mutuel, est observée chez les barbes non-seulement par ceux qui sont en voyage dans les pays étrangers, mais encore par ceux qui restent attachés à la congrégation des Alpes. Ceux-ci également sont en mouvement sans cesse, allant d’une vallée ou d’un versant à l’autre pour ne pas attirer le regard de l’ennemi par un séjour trop prolongé dans le même poste. Cette règle ne souffre d’exception que pour les barbes très vieux ; il leur est permis de s’arrêter et de mourir à leur place. Tous ces mouvemens sont dirigés par un organe d’autorité qu’on aperçoit très clairement dans la correspondance du barbe, par une espèce de synode occulte et mobile aussi, qui se réunit clandestinement tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. Cette autorité se combine avec le principe de l’élection. Elle institue les barbes élus par les congrégations, elle veille au maintien de la discipline et des mœurs, elle envoie les apôtres au dehors, enfin elle reçoit et distribue les fonds de l’association. Ce fonds commun était divisé en trois parts, l’une pour les barbes résidans, l’autre pour les barbes itinérans, iter facturis, et la troisième pour les pauvres. C’était l’unique ressource des conducteurs spirituels du petit troupeau, car, ayant fait vœu de pauvreté, ils ne pouvaient être propriétaires, (mais ressource suffisante, abondante même, si l’on en croit le correspondant d’Ecolampade, qui rend à ses ouailles ce beau témoignage, qu’elles donnent de leur abondance et de leur pauvreté : grand enseignement pour ces églises qui se tiennent collées à l’état, craintives et tremblantes de perdre le denier dégradant de César ! Jamais on ne vit un peuple croyant laisser dans le besoin son ministre ou son prêtre, et s’il ne croit plus, à quoi bon ministre ou prêtre ?