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bien triste. L’esprit vaudois a perdu son antique énergie. S’il n’est pas entièrement dompté, il est bien près de l’être. Il flotte incertain, hésitant sur une foule de questions de dogme, de culte et même de simple morale. « Nous ne sommes pas au clair sur beaucoup de choses, » écrit le barbe, et il demande curieusement si l’on doit en conscience obéir aux lois civiles qui régissent les peuples, si le magistrat a le droit de punir de mort, car il est écrit : Leges populorum vanœ sunt. Cette question trahit l’ancienne idée cathare, que la vie humaine est inviolable, et qu’à Dieu seul, qui l’a donnée, appartient le droit de l’ôter ; mais cette idée elle-même s’est obscurcie. La servitude et l’oppression ont fait le vide dans la conscience vaudoise. La question de mort intéressait particulièrement la secte de deux manières : d’abord parce que ce droit terrible revendiqué par l’adversaire était une menace perpétuelle suspendue sur les vaudois, ensuite parce qu’ils en avaient besoin eux-mêmes pour se défendre contre leurs ennemis connus et inconnus, contre les inquisiteurs et les faux frères. Des catholiques déguisés en sectaires ou des sectaires apostats tenaient la congrégation occulte dans des transes terribles. « Ils s’introduisent parmi nous, dit le correspondant, et ils vont ensuite révéler aux moines et aux évêques le lieu de nos réunions. Ils disent aux membres de l’antechrist : Combien voulez-vous nous donner, et nous vous livrerons les docteurs des vaudois, car nous savons où ils se cachent ? » La conséquence de ces trahisons, on la devine. « Nous sommes assaillis à l’improviste par des gens armés, dit le barbe, et le plus souvent nous sommes brûlés misérablement, et nos miseri plerumque urimur. » Devant ce fléau des faux frères, l’ancien principe de l’inviolabilité était ébranlé dans la conscience vaudoise. Le peuple demandait qu’on les mît à mort ; mais les barbes résistaient encore à la raison brutale du salut public, leur patience chrétienne n’était pas encore à bout, et ils s’adressaient à Dieu pour être à couvert des Judas inconnus. Dans un de leurs plus beaux poèmes, lo Payre eternal, on lit cette supplication touchante :

O pasteur grand et bon des brebis qui te suivent,
Garde-les des ours, des lions et des loups méconnus[1] !


Au moment de la réformation, le mal s’est aggravé, et dans sa lettre le barbe Morel demande avec anxiété à Ecolampade si la congrégation aie droit de se faire justice à elle-même et de mettre a mort les traîtres. Il demande bien d’autres choses, et ses


  1. Pastor grant e bon de las feas seguent tu,
    Garda las d’ors e de leou e de lop mosconegu.