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prédestination a perdu la rigidité que lui avaient donnée Luther et Calvin pour les besoins de la lutte, et la théologie l’a conciliée depuis avec la liberté et la responsabilité morale ; mais quand les barbes se trouvèrent pour la première fois en face de ce dogme qu’ils n’avaient pas connu, ils éprouvèrent une étrange perplexité. Dans leur réaction séculaire contre le matérialisme ecclésiastique, ils n’étaient point allés jusqu’à l’abdication absolue de leur liberté devant Dieu. Quant au mode du salut, s’ils ne le faisaient pas découler entièrement de l’œuvre accomplie, ils avaient du moins toujours insisté sur l’effort que l’homme doit s’imposer pour observer non la loi cérémonielle, car ils étaient en révolte contre elle, mais la loi morale. Tous leurs écrits religieux antérieurs à la réformation ont une tendance pratique, ascétique même, et respirent une dévotion naïve qui leur donne un air de parenté avec le célèbre traité de l’Imitation. On n’y voit pas trace de ces destinées éternelles, fatales, indépendantes du pouvoir et de la volonté de l’bomme. Partout au contraire celui-ci est sollicité à vouloir, à travailler, à être « ouvrier avec Dieu, » selon le mot profond de l’apôtre Paul. L’auteur inconnu du Novel sermon exprime un souhait pieux qui caractérise à ce sujet la foi vaudoise. « Je voudrais bien, dit-il, que tous les hommes qui sont au temps présent eussent volonté, pouvoir et entendement de servir le Seigneur… Par ces trois choses, l’œuvre a complément, — savoir quand l’homme a volonté, pouvoir et entendement. »

D’un autre côté et par d’autres écrits, principalement par le petit poème intitulé lo Payre eternal, hymne inspiré où l’on sent passer un grand souffle religieux et poétique, l’homme est ramené sous la dépendance du regnador souverain et sous la foi au Christ pour être sauvé. En un mot, les anciens vaudois s’étaient tenus à égale distance entre l’œuvre sans la foi et la foi sans l’œuvre, entre la liberté humaine et la fatalité divine, et quand ils se trouvèrent en présence de ce dogme de la prédestination, qui écrasait leur raison, ils se récrièrent, firent des objections sérieuses. « Rien ne nous trouble plus dans notre ignorance, écrit George Morel, que ce que nous avons lu dans les livres de Luther sur le libre arbitre et la prédestination. Nous avions cru jusqu’ici que Dieu avait connu avant la création ceux qui seraient sauvés et ceux qui seraient damnés, mais qu’il les avait tous créés pour le bonheur éternel, et que ceux-là seuls en sont exclus qui n’ont pas voulu lui obéir. Si toutes choses arrivent nécessairement, si les prédestinés au salut ne peuvent être damnés, et réciproquement, par la raison que la prédestination divine ne peut être en défaut, alors à quoi bon la révélation, les Écritures, la prédication et les prédicateurs ? »

Ce n’est pas pourtant sur ce dogme que porta principalement la