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triompher de la timidité des vaudois, ce parti leur montra des amis plus rapprochés des Alpes dans les réformateurs français et suisses. Ceux-ci étaient en effet, et par la distance et par la constitution ecclésiastique, plus près des vaudois que les Allemands. Ils étaient par conséquent plus à portée de couvrir le noyau sectaire des montagnes contre les attaques de l’inquisition. On fit justement appel à l’homme qu’il fallait pour les grandes crises., à maître Guillaume Farel, fils d’un seigneur du Dauphiné, allié à la famille des Riquetti, ancêtres du fameux Mirabeau. Guillaume Fanel était comme celui-ci un destructeur énergique, ayant en même temps un génie puissant de reconstruction ; « il démolissait et édifiait avec une égale énergie, » dit Merle d’Aubigné. Le caractère impétueux de son éloquence est ainsi décrit par Calvin : « En l’entendant, on ne sentait pas quelques légères pointes et piqûres ; mais on était navré et percé jusqu’au fond. » Farel était en Suisse dans le pays de Vaud quand il reçut l’appel vaudois. Il part secrètement avec son collègue Saunier, tous les deux remontent le Rhône, franchissent le Saint-Gothard, traversent le Piémont sous de faux noms, Farel sous celui d’Hilerme Cusemeth, et Saunier sous celui d’Antoine Almeutes, et arrivent par la plaine de Pignerol dans le Chanaan des barbes. D’après le signalement donné aux paysans apostés aux abords des vallées pour surveiller les mouvemens du clergé catholique et indiquer la route aux voyageurs, maître Guillaume est un grand et bel homme, — barbe rousse, figure imposante, monté sur un cheval blanc. Son compagnon est d’apparence moins noble, et n’attire l’attention des paysans que par sa barbe et sa monture toutes noires. Un troisième personnage est avec eux. On a pensé que ce pouvait être Robert Olivétan, parent de Calvin, savant modeste, versé dans la connaissance des langues de la Bible et auteur de la première traduction complète en français ; mais la préface de l’édition de Neuchâtel de 1535, à laquelle nous empruntons le récit de ce voyage, ne dit pas qu’il fût lui-même avec Farel et Saunier.

Aussitôt que ces étrangers furent arrivés, le 12 septembre 1532„ on convoqua les adhérens de la secte à un concile qui se réunit sur les hauteurs d’Angrogna, à proximité de la forteresse naturelle du Prà del Tor, au sommet d’une colline plantée de châtaigniers séculaires d’où la vue embrasse le spectacle le plus propre à frapper les imaginations et à élever les âmes vers l’infini. De ce point en effet, on peut mesurer du regard le vaste cercle des Alpes et des Apennins qui entourent la Haute-Italie et en distinguer les points saillans, — le grand Viso à droite, les monts Rosa et Saint-Gothard à gauche, en arrière les créneaux granitiques de la barrière qui sépare la France de l’Italie. En avant se dessinent nettement les détails d’un horizon immense inondé de lumière, les splendeurs d’une