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contestable, mais correspondant à des besoins impérieux, et que la tyrannie de l’habitude rend indispensable à une grande partie de la population. Jadis le commerce du tabac était sévèrement circonscrit, les apothicaires seuls avaient droit d’en vendre, et sur une ordonnance motivée du médecin. Aujourd’hui, loin de vouloir restreindre la consommation de l’herbe de Nicot, l’état s’est emparé des opérations qui doivent en rendre l’usage plus agréable et plus sain : les débits, surveillés par l’autorité, pullulent dans nos villes ; le tabac est absorbé sous toutes les formes possibles, on s’ingénie à en trouver de nouvelles et à satisfaire la passion de certains gourmets qui apprécient un bon cigare comme d’autres savent goûter un verre de vin vieux ; de plus, l’exploitation monopolisée rapporte au fisc des revenus considérables qui augmentent chaque année, et qui déjà représentent le dixième de la fortune de la France. Le cigare a succédé aux boîtes à priser de nos grands-pères, il a droit de cité partout, dans les jardins publics, dans les cafés, dans les cercles, dans bien des salons ; encore un peu, et il entrera peut-être dans les théâtres, comme en Hollande. Si, comme le prétendent quelques médecins, le tabac est un poison, il faut avouer que les Indiens nous ont fait un triste cadeau ; mais, nous leur avons donné l’eau-de-vie, et nous sommes quittes.


I

Dès que l’usage de la nicotiane tendit à se généraliser sérieusement, on se préoccupa d’en tirer bon parti au point de vue de l’impôt, et en 1621 le tabac fut frappé d’une taxe dont la perception fut attribuée à la ferme générale. C’était l’époque où la fabrication embryonnaire n’avait pas encore réussi à pulvériser mécaniquement les feuilles importées d’Amérique ; chacun alors portait sa carotte et sa râpe. Cela dura longtemps, et Molière s’est moqué des jeunes seigneurs qui arrivaient à la cour le nez barbouillé et le jabot parsemé de poudre de tabac. En quarante ans, le produit du nouvel impôt avait presque décuplé, car la ferme des tabacs, qui en 1680 rapportait simplement 500,000 livres, donnait un revenu net de 4,200,000 livres en 1720. De 1723 à 1747, la compagnie des Indes, qui, après avoir fait concevoir tant de magnifiques espérances, devait mourir si misérablement, posséda les tabacs, qui ensuite entrèrent dans le mécanisme des droits réunis. Ils y restèrent jusqu’au décret du 20 mars 1791, qui reconnaissait à tous les Français le droit de cultiver, de fabriquer et vendre du tabac. Deux ans plus tard, une restriction fiscale modifia cette liberté absolue, et les négocians en tabac furent astreints à payer une licence. Par les