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à mâcher) et de cigares, ce n’est pas trop de tout ce que l’on sait aujourd’hui de chimie et de mécanique. La manufacture possède un magasin de matières premières qu’elle fait remplir et qu’elle vide sans cesse. Il est immense et double, car il est situé en partie rue Nicot et en partie dans l’enceinte même de l’établissement ; mais, si grand qu’il soit, quand il est bourré du plancher aux solives, il contient les matériaux nécessaires à la consommation de Paris pendant quatre mois seulement. C’est là qu’on empile, en ayant soin de séparer les espèces différentes, les balles renfermant les tabacs indigènes, les sacs en laine de chameau venus d’Orient, les larges caffas en sparterie apportés des bords du Danube, les boucaux de Virginie, les peaux de bœuf arrivées de Guatemala. A l’abri de l’humidité et du soleil, ces tabacs de toute provenance attendent que l’heure soit venue pour eux d’être transportés aux ateliers. L’odeur qui en émane, toute pénétrante qu’elle soit, ne paraît pas trop déplaire aux souris, qui trottent menu à travers les boucaux gerbes, et font souvent une trouée dans les balles afin d’y établir leur nichée.

Selon la forme que l’on veut donner au tabac, on demande au garde-magasin des espèces désignées dont le choix a été déterminé par l’expérience. Sauf pour les cigares de La Havane, on peut affirmer que tout tabac, si l’on veut qu’il soit agréable au goût, doit être mélangé avec d’autres dans certaines proportions qui ont été l’objet d’études approfondies. Notre râpé ordinaire, dont la célébrité est telle qu’il s’en expédie maintenant aux quatre coins du monde, est composé de huit espèces de tabacs[1] qui, se corrigeant, se modifiant, se développant l’une l’autre, arrivent à acquérir cet arôme particulier qu’un connaisseur devine au premier flair. Un employé, humant une prise avec délices, me disait : « Ah ! que de tâtonne. mens il a fallu pour arriver à un pareil résultat ! » La manufacture du Gros-Caillou, qui produit chaque année environ 2 millions de kilogrammes de tabac en poudre, est très fière de son râpé. C’est donc du tabac en poudre qu’il convient de parler d’abord.

Les balles sorties du magasin sont éventrées ; on en retire le tabac, qui y est déposé en manoques, c’est-à-dire en bouquets de vingt à vingt-cinq feuilles dont les caboches, les têtes, sont rattachées par une feuille grossièrement tordue. Tous ces faisceaux, secoués avec soin, déliés, sont examinés, et l’on en retire les feuilles qui ont subi quelques avaries. Lorsque ce premier travail d’épuration est terminé, travail assez pénible, car il soulève un nuage d’acre

  1. Sur cent parties, le râpé ordinaire renferme : Virginie 25, Kentuky 5, Nord 8, Ille-et-Vilaine 5, Lot-et-Garonne 12, Lot 18, coupures de Kentuky 5, côtes et rejets d’autres fabrications 22.