Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des moulins à bras, comme on peut s’en convaincre en visitant la manufacture du Gros-Caillou, car on y a conservé quelques-uns de ces instrumens antédiluviens, qui ressemblent exactement, quoique dans de plus fortes proportions, à ces moulins à café portatifs dont nos ménagères font usage. Ce travail, qui, il y a peu d’années encore, exigeait un labeur extrêmement pénible, coûtait fort cher et employait un nombre considérable d’ouvriers, est exécuté aujourd’hui par de très ingénieuses machines que quatre ou cinq hommes suffisent amplement à conduire et à surveiller.

Le râpage nécessite trois systèmes mécaniques superposés qui occupent chacun un étage. Au troisième, le tabac, sortant des masses, est versé dans des trous munis d’une manche en toile qui le fait glisser au second dans les moulins. Chacun de ces derniers est formé d’une cloche renversée dont la face interne est garnie de lames fixées dans des plans verticaux ; au milieu de cette sorte de mortier, un pilon conique en fonte, armé d’ailerettes hélicoïdales, pivote à demi par un mouvement alternatif. Le tabac passe entre les lames fixes de la cuvette et les lames du pilon mobile ; il est froissé, pressé, écrasé, et sous cette action continue il finit par être pulvérisé. Ces mortiers ou ces moulins, qui sont au nombre de vingt-six dans la même salle, se meuvent sans bruit et avec une douceur apparente qui cache une force sans égale. A l’aide d’une ouverture placée à la partie inférieure, ils communiquent tous séparément avec une trémie longitudinale. Une vis d’Archimède, vis sans fin, qui tourne rapidement et ressemble à une immense tarière faite pour Hercule ou Briarée, entraîne le tabac vers un conduit en bois par où il descend au premier étage dans une sorte de vaste coffre haut et fermé qui figure assez bien une armoire. Ce coffre contient une noria, c’est-à-dire une drague composée d’une chaîne sans fin munie de godets qui ramassent le tabac, le remontent au troisième étage, et le versent sur des tamis métalliques automatiquement agités d’un va-et-vient perpétuel. La poudre arrivée à l’état normal traverse les mailles du tamis et glisse vers des sacs qui la reçoivent ; celle au contraire qui est trop grosse encore est rejetée vers une trémie également balayée par une vis d’Archimède qui renvoie le tabac dans les moulins. C’est un circulus. La matière brute versée au troisième étage y remonte à l’état de mélange de grains suffisamment fins et de grains encore imparfaits, mais les tamis qui effectuent la séparation savent, pour ainsi dire, choisir eux-mêmes et accepter exclusivement les produits parvenus au degré de fabrication exigée. Seulement, si un grain de tabac poursuivi par un mauvais sort passe sur une portion de tamis déjà oblitérée et ne trouve pas une maille favorable, il peut, comme une âme en peine, tourner dans