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nuirait singulièrement au tabac haché, qui doit être à tout prix soustrait à la fermentation. Afin d’obtenir ce résultat, il faut le soumettre à une température assez élevée pour tuer le ferment et assez modérée cependant pour ne laisser à la combustion aucune chance de se produire ; on s’est arrêté à 95 degrés. Autrefois cette opération était très dure et très dangereuse pour les hommes qui en étaient chargés. On faisait chauffer le tabac dans de grandes bassines en cuivre posées sur des fourneaux, à peu près comme l’on fait cuire les marrons. Des ouvriers demi-nus, ruisselans de sueur, tournant autour des charbons allumés, aspiraient à pleins poumons les vapeurs chargées de nicotine qui se dégageaient de ces masses qu’on desséchait trop rapidement et surtout trop irrégulièrement. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi ; une simple machine inventée par M. Eugène Rolland, l’habile ingénieur qui depuis 1844 a si puissamment contribué à la transformation de tout l’outillage de nos manufactures, se fait un jeu de mettre le scaferlati hors d’état de fermenter jamais. Un torréfacteur fait à lui seul le service de vingt ouvriers, et procure une économie annuelle de 25,000 francs.

L’aspect n’en est pas beau : sur un fourneau de brique repose un énorme cylindre qui ressemble à une locomotive sans tuyau. Le cylindre apparent n’est, pour ainsi dire, que le toit de la maison ; il abrite, il cache, il enveloppe de tous côtés un autre cylindre mobile, pivotant sur lui-même, dont il est séparé par un espacé libre dans lequel circule un courant d’air chaud alimenté par le foyer. Le tabac pénètre automatiquement dans le second cylindre, dont l’intérieur est muni de lames hélicoïdales armées de griffes de fer qui ressemblent aux dents d’une fourche. Ces dernières divisent le tabac, qui, humide encore, a une tendance à se pelotonner, pendant que les lames le forcent à suivre le mouvement de rotation auquel l’instrument obéit. Le scaferlati, chauffé à 95 degrés par les nappes d’air presque brûlant qui le caressent sur toutes les surfaces, perd en un quart d’heure l’humidité dont il était imbibé, et les fermens d’albumine qui risquaient d’en compromettre la conservation sont anéantis ; mais cela n’est rien encore. Cette machine se dirige toute seule, il suffit qu’on lui jette de temps en temps quelques pelletées de combustible pour la nourrir, elle ne demande rien de plus. Grâce à un petit appareil établi dans un coin de la muraille du fourneau, elle semble douée d’une intelligence, j’allais dire d’une âme particulière ; elle sait se régler et se maintenir rigoureusement à la température fixée d’avance. A la voir se réchauffer ou se refroidir selon qu’il en est besoin, l’on croirait qu’elle obéit à un mot d’ordre. Un mécanisme dont la découverte est un trait de génie oblitère et dégage la seule prise d’air qui