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efforts dont l’administration n’est pas avare pour nous procurer des cigares de premier choix. Pourquoi ne fait-on pas un tabac de caporal de luxe qui serait vendu 2 ou 3 francs de plus par kilogramme, mais dans la composition duquel il n’entrerait que des feuilles absolument dépouillées de ces côtes si désagréables à rencontrer, à fumer, qui oblitèrent les pipes et déchirent le papier à cigarette ? Rien ne serait plus facile cependant, on donnerait satisfaction à bien du monde, et de même qu’on fabrique un tabac de cantine coûtant 1 franc 50 centimes le kilogramme destiné aux soldats, on peut parfaitement faire un scaferlati de premier choix destiné à ceux qui voudraient bien le payer. Nos manufactures sont outillées de façon à répondre presque immédiatement aux exigences de la consommation ; le devoir du monopole est de prévenir tous les besoins et même toutes les fantaisies ; la dépense qu’entraînerait la main-d’œuvre serait promptement couverte par l’augmentation du prix, et la régie ne pourrait qu’y gagner.

La mode, qui autrefois faisait en quelque sorte une obligation de priser, s’est depuis longtemps déjà tournée du côté du tabac à fumer ; mais voilà qu’aujourd’hui les chiffres officiels constatent que la consommation du tabac à mâcher augmente dans des proportions considérables. La vente des rôles (du mot rouler, c’est le nom poli de ce qu’on appelle trop vulgairement la chique), qui en 1861 était de 533,918 kilogrammes, s’est élevée jusqu’à 634,669 en 1865 ; depuis cette époque, le mouvement ascensionnel ne s’est point ralenti. Est-ce à l’infiltration des mœurs américaines que nous devons cette laide habitude ? Les rôles de France ont, à ce qu’il paraît, un goût fort apprécié, et ils remplacent avantageusement ces tablettes en tabac de Virginie imbibé de réglisse et de vins d’Espagne qu’on vendait jadis sous main et fort cher. C’est une partie importante de la fabrication du Gros-Caillou, et plusieurs ateliers y sont occupés. Toute personne qui a vu un cordier faire une corde à la manivelle sait comment on prépare les rôles, qui sont de deux espèces : les menus filés et les rôles ordinaires. Les feuilles, préalablement bien mouillées et êcôtées, sont amorcées sur un rouet tournant avec une extrême facilité ; ou file menu, et la corde en tabac est coupée à une certaine longueur qui représente un poids déterminé ; pour en augmenter la saveur et la défendre contre une dessiccation trop rapide, on la plonge dans un baquet plein de jus de tabac concentré. Les cordes sont alors pelotonnées en paquets qu’on expose à l’action d’une presse hydraulique, afin de leur donner une forme régulière et de n’y laisser que la quantité de jus nécessaire. Chaque paquet est ensuite méthodiquement ficelé et enfermé pendant quelques jours dans un séchoir à température moyenne. Les rôles ordinaires,