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plus gros, semblables à de petits cordages et mélangés de feuilles de Virginie, sont tournés de la même manière, seulement avec plus d’activité à l’aide d’un rouet mécanique obéissant à la vapeur.

La manufacture est toujours en mouvement, et les 1753 ouvriers qu’elle occupe ne chôment guère. En 1867, elle a produit 2,970,000 kilogrammes de scaferlati, 1,841,000 de râpé et 219,000 de rôles. À cette fabrication, il faut ajouter 50,775,000 cigares à 10 et à 5 centimes, dont les premiers sont composés de feuilles du Brésil, du Mexique, de La Havane et de France, et dont les seconds, enveloppés de feuilles de Kentuky, contiennent du tabac indigène mêlé à du tabac de Hongrie[1]. Pour donner un goût uniforme à ces feuilles de provenances diverses, on les réunit et on les place pendant vingt-quatre heures dans des cages à claire-voie où elles plongent complètement au milieu d’un liquide coloré par une forte proportion de jus de tabac en suspension ; puis elles sont soumises à la presse hydraulique, et obtiennent ainsi une saveur qui semble être produite par une seule et même espèce de tabac. Les cigares à 5 centimes, ceux que la malice populaire, jouant sur les pompeuses dénominations espagnoles données aux cigares de La Havane, appelle volontiers des soutellas et des infectados, paraissent fort recherchés par la population, car en 1865 la France en a fumé 687,434,750. On fait aussi des cigarettes au Gros-Caillou, mais en petite quantité et de qualité médiocre. Il y a en Allemagne de simples épiciers qui excellent à ce genre de fabrication, où jusqu’à présent nous n’avons point réussi. Le papier qu’on emploie ici est trop cotonneux, le tabac se désagrège immédiatement et par grumeaux, la colle est trop brutalement étalée, l’ensemble est défectueux et ne donne pas de bons résultats. C’est une étude à faire. Les Russes ont importé à Paris l’habitude du tabac turc, il a fallu pouvoir les satisfaire, et on a autorisé un Arménien à fabriquer des cigarettes spéciales ; mais il ne peut les confectionner que dans l’enceinte de la manufacture, où on lui a réservé un atelier sous les combles. Trois ouvriers grecs, qui vous disent kaliméra lorsque l’on entre, coupent les feuilles à l’aide d’un hachoir primitif manœuvré à la main ; ainsi taillé et presque humide encore, le tabac est confié à des ouvriers qui l’enferment dans de minces feuilles de papier et le roulent pour lui donner la forme consacrée. Il faut croire que l’affaire n’est pas mauvaise, car l’an dernier le débit de ce genre de cigarettes s’est élevé, pour Paris seulement, à une somme qui dépasse 300,000 francs.

  1. Cigares à 10 centimes : Brésil, Mexique, 60 ; Havane, 20 ; Gironde, Dordogne, 20 ; Cigares à 5 centimes : Kentuky, 30 ; Hongrie, 12 ; Pas-de-Calais, 3 ; Lot-et-Garonne, 10 ; Bas-Rhin, 10 ; Haut-Rhin, Haute-Saône, 3 ; Meuuhe, Moselle, Savoie, 10 ; Gironde, Dordogne, 20 ; Algérie, 1.