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le prix ; si l’altération est trop grave, il les font réexpédier à l’étranger pour être vendus au profit de qui de droit. Il est juste de dire que les précautions prises par l’administration sont souvent vaines, et que ces cigares refusés sont rentrés en France par contrebande, apportés à Paris et offerts pour des prix exorbitans à des consommateurs naïfs qui les fument avec délices et disent : Si au moins la régie nous vendait de pareils cigares ! Quant à ceux qui arrivent intacts sous tous les rapports, ils sont enfermés dans des armoires construites le long de chambres obscures à doubles cloisons, à doubles plafonds, à double plancher, où ils restent dix-huit mois ou deux ans au milieu d’une atmosphère qu’on rend, comme à la manufacturé de Reuilly, aussi semblable que possible à la température de Cuba. Grâce à ce service si parfaitement organisé et dont les différens détails sont entourés à La Havane et à Paris de précautions sans nombre, les cigares de luxe sont en France supérieurs comme qualité et comme bon marché à tout ce qu’on fume en Angleterre et en Allemagne, où cependant le commerce est libre ; mais cette liberté amène des fraudes multiples, fraudes telles qu’un commerçant anglais donne du tabac de Virginie à 3 shillings la livre, lorsque la livre du tabac de Virginie est frappée d’un droit d’entrée de 3 shillings. On peut imaginer d’après cela quelles herbes cueillies au hasard, détrempées dans une décoction de nicotine, on livre au public sous le nom de tabac. Chez nous du moins, il n’y a jamais rien de semblable à redouter, et les produits, quels qu’en soient les élémens et l’origine, sont toujours purs et d’une sincérité sérieuse. Aussi la réputation de nos manufactures est établie ; malheureusement les marques en sont imitées partout. Il y a telle ville d’outre-Rhin qui a des fabriques de scaferlati et de râpé français. Cette imitation, souvent grossière et à peine déguisée, tend à s’accroître ; les expositions universelles, en constatant la supériorité indiscutable de notre fabrication, ont donné à la contrefaçon une impulsion rapide. Ne pourrait-on porter remède à cet état de choses déplorable, même un peu compromettant pour nous, en établissant dans les grands centres de consommation extérieurs, Berlin, Vienne, Saint-Pétersbourg, Baden-Baden, Hombourg, Florence, des dépôts réguliers, constatés, où l’on serait certain de trouver ces tabacs que le monde nous envie et que l’on remplace, au grand détriment des consommateurs et de notre réputation, par des produits sans valeur et sans bonne foi ?

Cette probité, cette envie de bien faire qui dans les choses matérielles distingue la direction-générale, se retrouvent aussi dans la partie morale de son œuvre. Loin de considérer les ouvriers comme des machines intelligentes qu’on paie en raison du travail accompli et envers qui on se trouve quitte, les employés supérieurs