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figures, autant de créations originales et de conceptions spiritualistes. Mercure, dans l’écrit d’Apulée, est chargé d’annoncer à son de trompe une belle récompense pour qui ramènera à Vénus Psyché fugitive.

Quiconque enseignera sa retraite à Vénus,

      Comme c’est chose qui la touche,

      Aura trois baisers de sa bouche[1].


Au lieu de ce crieur public, au lieu de ce messager à fonctions équivoques, Raphaël a imaginé un être aérien, un élégant éphèbe, rapide comme la pensée, souriant comme la jeunesse, souple et fort comme un dieu adolescent. Ce n’est là ni le malicieux Hermès, ni l’archange tombant sur Satan pareil à la foudre ; c’est, chose jusqu’alors inconnue, la parfaite image de ce que serait l’homme soudainement doué du pouvoir d’emporter son corps à travers l’étendue immense. Toutefois l’insouciant Mercure est de beaucoup inférieur à l’Amour. Aussi Raphaël a-t-il traité avec prédilection la figure d’Éros, et il est infiniment regrettable qu’il n’ait pu peindre lui-même les dessins qu’il en avait tracés. À ne le considérer que dans les pendentifs, Éros paraît trois fois. On le voit d’abord recevant de sa mère l’ordre cruel de persécuter Psyché. Au geste terrible de Vénus, qui signifie :

La fille d’un mortel en veut à ma puissance.
Rendez-la malheureuse !…


les regards attendris qu’Éros attache sur Psyché répondent qu’il désobéira. Un peu plus loin, déjà secrètement uni à Psyché, il vole vers le ciel et prend les Grâces à témoin de la beauté de son amie. Enfin, n’ayant pu fléchir Vénus, il demande à Jupiter lui-même d’approuver sa mésalliance. C’est dans ce groupe de Jupiter et d’Éros que Raphaël a rapproché avec un art sans égal la sereine beauté de la vieillesse immortelle et la grâce de la jeunesse animée par la première étincelle de la passion. Si le Sanzio a su mettre à la fois dans ce personnage d’Éros tant de pureté naïve, de tendresse et de désir, c’est qu’il a repensé l’idée de l’amour et qu’il se l’est intimement appropriée. Il n’a point représenté l’amour des obscures cosmogonies, simple force attractive qui agrège les atomes élémentaires. Il n’a pas songé à l’amour païen des siècles plus récens, ministre aveugle d’une puissance fatale. Il n’eût pas moins repoussé cet amour égoïste et brutal qui cueille en passant les

  1. Ici et plus bas je cite la traduction de La Fontaine, qui adoucit beaucoup la hardiesse du texte.