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jeunes âmes comme des fleurs, et les jette dans la boue après en avoir épuisé le parfum. L’Éros de Raphaël se tient à égale distance entre la sensualité et l’extase. Ne dites pas qu’il y a en lui quelque chose de l’ange ou du chérubin. Non, s’ils devenaient amoureux, les anges et les chérubins perdraient leurs ailes et leur séraphique nature. Or cet Éros, c’est l’amour amoureux, l’amour épris de la beauté visible ; seulement cette beauté, il la veut unie à l’esprit, et voilà pourquoi il choisit Psyché, c’est-à-dire une âme.

Conséquent avec lui-même, l’artiste a pareillement transfiguré le personnage de Vénus. On en jugerait mal en regardant les plafonds de la Farnésine, où prédomine la main de ses élèves. C’est dans les pendentifs qu’il convient d’étudier l’image de la déesse. Elle y paraît cinq fois, et son caractère va s’élevant de degré en degré. Elle est d’abord terrible quand elle ordonne à Éros de persécuter Psyché, puis courroucée et superbe quand elle se plaint à Junon et à Cérès, et enfin gracieuse et fière quand elle monte vers Jupiter. Jusque-là cependant elle n’est guère que païenne. Aux pieds du maître des dieux au contraire, humiliée, suppliante, les yeux noyés de larmes et implorant un suprême secours, on la prendrait pour une vierge chrétienne, si quelque draperie voilait son beau corps ; mais où se découvre avec évidence l’inspiration essentiellement personnelle et toute moderne du peintre, c’est dans le groupe de Vénus apaisée et accordant à Psyché son pardon. La déesse se tient debout, penchée légèrement en arrière et le visage tourné vers la droite. Les lignes de ses membres sont pures et calmes. Ses formes, un peu plus riches et aussi un peu plus individuelles que celles de la plastique grecque, se développent avec une irréprochable décence. Les deux bras, qui s’élèvent et s’ouvrent en un geste de maternel amour, ont une expression surhumaine. Les yeux sont inondés de tendresse, et le front, frappé d’en haut par une clarté céleste, a je ne sais quel rayonnement sacré. Naïve et timide, Psyché se tient aux genoux de celle qu’elle espère fléchir. Leurs regards se cherchent et se confondent ; les deux femmes semblent n’avoir plus qu’un seul cœur. Cependant c’est sur la déesse que l’attention est attirée et se reporte toujours. On ne peut se détacher de cette figure étonnante où la beauté féminine, manifestée tout entière, sans voile et dans son plein éclat, n’exprime pourtant que l’idée absolument spirituelle de la clémence divine. Le dessin de cette Vénus est au Louvre, exécuté au crayon rouge avec une incroyable puissance de premier jet. Cette esquisse a été faite d’après le modèle vivant, certains détails l’attestent ; mais ce qui est non moins évident, c’est que la pensée de Raphaël était si haute que sa main idéalisait le modèle en le reproduisant.