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par des désastres partiels, l’indifférence d’un destin inexorable, ne nous arrêtons pas à ces apparences indignes de troubler une philosophie sérieuse. Il est bien certain que la plupart des maux inhérens à notre espèce, maladies, passions, guerres, égaremens, sont notre propre ouvrage, c’est-à-dire le résultat de l’élan déréglé ou de l’aveugle inertie de l’âme spécifique. Cette âme impersonnelle, ce moteur aveugle que les uns respectent trop, que les autres ne respectent pas assez, est chez nous un agent de destruction tout aussi bien qu’un agent de conservation. Chose frappante, et qui témoigne de la nécessité de la troisième âme, l’instinct de l’homme est inférieur à celui des animaux. Les animaux ont le discernement des alimens salutaires ou nuisibles, la prévision jamais en défaut des besoins de la vie et des influences de l’atmosphère pour eux et pour leur progéniture. Aucun vice particulier, aucun excès de nourriture, aucune ivresse d’amour ne fait oublier à une pauvre petite femelle de papillon qui va mourir après sa ponte de se dépouiller le ventre de son duvet pour envelopper et tenir chaudement ses œufs destinés à passer l’hiver avant d’éclore. Il semble, devant une multitude de faits observés, que l’animal ait deux âmes aussi, l’instinctive et celle qui raisonne. Peut-être devrait-on oser l’affirmer, puisqu’à toute heure la prévoyance, le dévouement, le discernement et la modération de la bête semblent faire la critique de nos aveugle-mens et de nos excès. Avec l’hypothèse des trois âmes, l’animal, doué des deux premières, s’explique et cesse d’être un problème insoluble. La troisième âme complète l’homme ; « il n’est, » a dit Pascal, « ni ange ni bête. » Pascal est resté garrotté ici par la notion de dualité. L’homme est bête, homme et ange.

La plante, placée à l’étage inférieur, a sans doute l’âme inconsciente, spécifique. Ainsi seraient expliqués les trois royaumes de la vie, improprement nommés règnes de la nature.

L’homme a donc à se préoccuper des trois supports de son existence normale, dirai-je latente ? Non, le monde caché s’ouvre peu à peu, et beaucoup ont pénétré dans la troisième sphère, croyant n’être que dans la seconde.

L’homme, parvenu à l’apogée de ses facultés, saura conjurer les fléaux matériels. Quand il accuse l’âme de l’univers de frapper son âme par le déchirement des morts prématurées, c’est lui-même, c’est son espèce qu’il devrait accuser de paresse et d’ignorance. Loin de se décourager d’invoquer la grande âme, il devrait s’élever de plus en plus vers elle pour sortir des ténèbres. En l’interrogeant dans la portion de lui-même qu’elle habite plus spécialement, il trouverait une réponse nette qui serait le remède à sa douleur. Cette réponse que l’on traite de vague espérance, c’est la