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supplante, et il s’est dit, en se sentant adouci, que son Dieu devait être bon.

Le premier philosophe qui a contemplé <ou subi l’injustice du destin s’est dit à son tour qu’il devait y avoir dans la pensée divine, dans l’âme de l’univers, quelque refuge contre cette injustice. En se sentant pénétré d’horreur pour l’injuste, il s’est senti juste, et aussitôt il a attribué à son Dieu une justice si exacte et si étendue que les maux soufferts en cette vie devaient se convertir dans sa main en bienfaits éternels.

Trouvera-t-on un autre procédé que ces moyens naïfs d’apercevoir la Divinité ? Est-ce la science qui remplacera le sens humain ? Mais la science n’est elle-même qu’une méthode humaine pour chercher la vérité extra-humaine ; ce sont nos sciences exactes qui ont mesuré l’espace et conçu l’infini. Ce sont nos sciences naturelles qui ont classé méthodiquement les œuvres de la nature.

Il s’est trouvé que l’univers donnait pleine confirmation aux sciences exactes, et que la nature terrestre pouvait se prêter au classement. Donc le vrai est au-delà de l’homme, mais ne peut être prouvé a l’homme que par l’homme. deux qui font intervenir le miracle, l’interversion des lois naturelles pour faire apparaître Dieu au sommet de leur extase, ne peuvent plus être traités sérieusement. Il faut que l’homme trouve lui-même son Dieu par les moyens qui lui sont propres et qui lui ont fait trouver tout ce qu’il possède de vrai. Toute conception d’une abstraction parfaite a son siège dans notre intelligence et sa raison d’être dans notre cœur.

Pour percevoir l’idéal en dehors de soi, il faut donc le percevoir en soi. Pour connaître Dieu, l’homme doit se connaître, et mon avis est qu’il ne l’ignore que parce qu’il s’ignore lui-même.

Certaines études ont conduit tristement quelques-uns a ne reconnaître en nous que l’âme spécifique, la plupart des autres ont confondu cette première région de la vie commune à l’espèce avec la seconde, siège de la vie individuelle. Ce mélange de liberté et de fatalité n’a pu trouver de solution pratique, puisque la discussion continue sous tous les noms et sous toutes les formes, Le christianisme a dû expliquer le mal par l’intervention du diable, et il y a encore des gens qui croient au diable, la logique de leur croyance exigeant cette bizarre hypothèse.

Pourtant on s’est généralement arrêté à la notion d’une vie instinctive et d’une vie intellectuelle, et on a fait procéder nos contradictions intérieures du combat sans issue de ces deux natures, La notion de l’univers, moulée sur cette notion de nous-mêmes, est restée problématique, et confond encore de très grands esprits qui ne s’expliquent ni son ordre admirable, ni ses désordres effrayans.