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étonnantes que celles qui parsèment l’infini. Une force unique détermine les formes et les mouvemens des grands corps qui courent dans l’espace ; mais ici sont enfermées des forces sans nombre comme en champ clos, elles s’y marient, s’y épousent, s’y fécondent, s’y métamorphosent sans relâche…

« L’œuvre de l’anatomie, toute descriptive, est jusqu’ici demeurée stérile. Elle peint des tissus, des élémens anatomiques, elle ignore la dynamique de ces petits édifices moléculaires. Elle reste en face de ces amas cellulaires comme un œil ignorant en face des désordres lumineux du ciel. Elle connaît les caractères d’un livre, elle ignore le sens des mots[1].  »

Vous qui proclamez la méthode exclusivement expérimentale, il ne faudrait peut-être pas tant affirmer qu’elle suffit. Jusqu’à ce jour, elle ne suffit pas, elle ne sait pas, elle n’a pas trouvé. Tout comme les études psychiques, vos études ont encore besoin d’un peu de modestie.

Il existe un très beau livre, très peu connu, de notre digne ami M. Léon Brothier[2]. qui répond à bien des propositions et résout bien des doutes. Il t’a semblé ardu, et pourtant il est charmant dans sa profondeur, et l’on y sent la bonhomie de La Fontaine, pour ne pas dire celle de Leibniz. Il conclut en d’autres termes, tantôt plus savans, tantôt plus aimables que ceux que j’emploie ici, à la nécessité d’une triple vue sur le monde des faits et des idées. Je ne suis pas de force à proclamer qu’il ne se trompe en rien, qu’après l’avoir lu attentivement je pense par lui et avec lui sur toutes choses. Je ne sais ; mais il m’a puissamment aidé à me dégager de la notion de dualité qui nous étouffe, et j’ose dire que cette notion ne résiste pas à sa critique.

Avant lui, les travaux de Pierre Leroux, de Jean Reynaud et de son école avaient porté de grands coups aux vieilles méthodes de l’antithèse, beaucoup d’autres nobles esprits ont cherché à traduire les trois personnes divines de la théologie par des notions vraiment philosophiques. Moi, je demande, je cherche une explication plus facile à vulgariser, et surtout l’abandon de cette vision trinitaire céleste qui supprime le corps et ne peut pas supprimer Satan. Je ne peux pas me représenter un Dieu hors du monde, hors de la matière, hors de la vie.

Les attributs appréciables de la Divinité, que par un grand progrès nous pourrions classer en trois ordres principaux, n’ont pas de limites appréciables à l’esprit humain, puisque l’esprit humain

  1. Laugel, Problèmes de l’Ame.
  2. Ébauche d’un glossaire du langage philosophique, Paris 1853.