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n’a été pour rien, œuvre lente, mais infaillible de l’intérêt des populations, des lois de la nature et de la géographie.

Vous avez peut-être parcouru ces profondes vallées dont le souvenir seul donne une sensation de fraîcheur. Vous avez traversé ces lacs qui ne diffèrent d’un miroir que par leurs bandes moirées, à moins que le terrible föhn ne les soulève comme une mer tumultueuse, mais une mer sans ports ni anses, et toute murée de rochers infranchissables. Vous avez gravi ces cimes sur lesquelles vous donniez un rendez-vous au soleil, qui n’y était pas toujours fidèle. Il vint enfin, si vous sûtes l’attendre, et vous récompensa d’un seul coup en inondant de ses rayons un vaste panorama de campagnes bleues, de lacs d’argent, de forêts, de montagnes, de neiges éternelles, et surtout, pour le ravissement de vos yeux, d’une couronne de pics glacés, avec leur teinte d’un rose tendre et transparent. Eh bien ! en suivant les mêmes chemins, nous avons eu la pensée d’emporter le recueil du Liederchronik, ou chants historiques de Rocholz. Ce volume a été notre guide. Il nous a fait connaître les lieux où s’étaient jouées les grandes scènes de l’histoire, il nous a dit les sentimens, les passions des hommes qui ont vécu, qui ont souffert sur cette terre où nous promenons aujourd’hui nos loisirs et notre caprice. Ces vers naïfs, souvent grossiers, quelquefois pleins de vie et de mouvement, nous ont expliqué le cadre et le décor du drame, le décor sublime nous a aidé à son tour à interpréter les vers ; mais nous avions un autre but et plus sérieux. La comparaison de ces ballades avec l’histoire nous offre l’occasion d’esquisser quelques études nouvelles sur les origines du peuple suisse, sur ses tardifs accroissemens, et avant tout sur sa laborieuse nationalité. Les montagnes et les lacs du pays montrent assez dans quelles limites devait croître et grandir ce peuple ; les ballades le font voir plus clairement encore. En un mot, c’est la nationalité suisse qui est le sujet de cette étude, composée à la fois de descriptions de la nature, de poésie et d’histoire, comme un dessin rapide à trois crayons.


I. — LES POETES POPULAIRES.

Avant de faire le choix de quelques chansons et de les transporter dans les localités auxquelles elles se rattachent, avant de réveiller les échos endormis des grandes scènes historiques de la Suisse, il est à propos de nous faire une idée de ces poésies, de l’objet qu’elles se proposaient, du rôle qu’elles jouèrent, des chantres populaires qui les ont inventées ou récitées. Qu’on nous permette d’abord de présenter ces vieux poètes tels que nous les