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profondeur les assises de cet amoncellement de montagnes qui forment le réservoir des eaux dont s’abreuve une grande partie de l’Europe. De ces eaux qui courent le long des membres de pierre de ces vieux géans ruisselans, deux ou trois filets se perdent vers la droite ; ils dessinent sur quelque énorme croupe noire comme une queue blanche qui s’ouvre et se disperse au vent, ou bien ils se dérobent en écumant dans des gorges étroites, et viennent tomber avec un bruit sourd au milieu d’un bouquet de bois. Une suite de cascades sonores coupant de loin en loin des rochers que des raies de noire verdure sillonnent à peine, voilà de ce côté la disposition de la coulée profonde que remonte le voyageur depuis le lac de Brienz.

Telle est l’avenue qui mène au pays d’Hasli. Une des plus ravissantes surprises que puisse éprouver un voyageur avide de beautés naturelles est celle qui s’offre à lui quand au tournant d’un mont il aperçoit cette large vallée. Il sort d’une coulée assez étroite surplombée des deux côtés par des hauteurs menaçantes : au fond, une rivière courait impatiente à travers les obstacles, quelques bourgs industrieux, des chalets. Il avait le sentiment de la peine qu’il lui restait à supporter pour atteindre le but, de celle aussi qui a été nécessaire pour tirer de cet enfoncement les fruits indispensables à la vie de l’homme ; il sentait le poids de ces hautes montagnes au pied desquelles il rampait comme une fourmi, et qui vont toujours en se resserrant davantage. Il était pourtant bien loin encore de la crête de ces monts ; combien ne fallait-il pas qu’ils grandissent et qu’ils se rapprochassent entre eux avant que l’on pût espérer de les franchir ! Et voilà que tout à coup la vallée s’ouvre et s’élargit, un horizon de prairies, de vergers, de cultures, apparaît. Voici des chalets, des troupeaux, de joyeuses maisons blanches, des clochers ; un immense et admirable jardin, un éden au milieu des montagnes, et au centre une ville, Meiringen, dont les habitans semblent ne connaître d’autre fatigue que celle de récolter leurs fruits, de faucher le gazon toujours vert de leurs prés, de traire le lait de leurs vaches luisantes et rebondies, de tailler dans le bois de leurs sapins. ces merveilleux petits ouvrages qui étalent leur délicatesse aux vitrines de nos marchands de bois sculptés ! On dirait que la nature, pour mieux séparer trois régions de glaces, celle du Titlis, celle de la Grimsel ou des glaciers du Rhône, celle des Alpes bernoises ou des glaciers de l’Aar, s’est plu à ménager cette large oasis abritée de toutes parts, à semer et à planter ce jardin qui ne peut porter envie à aucun de ses autres ouvrages, pas même à la délicieuse vallée d’Interlaken.

C’est pourtant dans cet heureux réduit, dans ce plantureux