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descend vers Schwyz, ils se dégagent l’un de l’autre comme les deux pointes de la mitre d’un évêque. De là ce nom de Mythen, qui n’est autre que celui de mitre, et qui s’applique fort bien à une montagne brisée en deux. Peut-être aussi faut-il s’abstenir de toute supposition sur le Brochenbirg de la chanson ; ne le retrouve-t-on pas dans tous les monts fendus et tourmentés qui hérissent le haut pays, et toute la Suisse primitive n’est-elle pas un Brochenbirg ? Soit que la vieille colonie, quittant le Rhin, ait parcouru l’une des vallées du lac des Quatre-Cantons, soit que, remontant le Rhin jusqu’à sa source et passant par les Grisons, elle ait franchi le Saint-Gothard, tant de fois traversé par Charlemagne, elle se fixa dans cette haute contrée où se forme le nœud auquel aboutissent les arêtes de granit qui partent de la France, de l’Italie, de la Hongrie et de l’Allemagne. Quel aspect devaient présenter en ces temps reculés les solitudes où les premiers pionniers du centre des Alpes plantèrent leur tente ? Il y a dans ces régions un nom qui se rencontre à chaque pas, Rüti, Rütlein, Rütli, Grütli ; ce nom est le souvenir partout présent des travaux de ces hommes patiens et durs comme les rochers qu’ils habitaient : il signifie extirper, déraciner. Ils durent en effet défoncer le sol, où une végétation séculaire plongeait profondément et enchevêtrait ses ramifications souterraines ; ils durent disputer la terre à la forêt touffue, qui partout, dans tous les creux, dans toutes les fentes des roches, avait étendu son empire depuis l’origine des temps. Il faudrait la science historique du pinceau de Poussin unie à la sombre énergie de Salvator Rosa pour donner une idée du pays où les pèlerins de la famine venaient chercher une patrie. Telle était la terre promise où la nécessité les conduisit à travers un désert non de sable et d’aridité, mais de villes et de campagnes cultivées qui les repoussaient. « Il n’était pas dans le monde, dit la chanson, un coin de terre si mauvais, si enfoncé, si tortueux. »

Schweizerus fut leur premier chef ; il portait le nom de la nation même : c’est dans l’ordre. Dans les chroniques, les peuples ont toujours pour parrain leur fondateur. Ainsi les Germains du temps de Tacite se donnaient pour père le dieu Tuisto, dont le nom est le mot de deutsch ou teutsch latinisé. C’est encore ainsi que la France voulait être redevable de son nom à Francus, fils de Priam, et que le premier roi de Rome s’appela Romulus. Schweizerus, comme tous les parrains, ne donna pas seulement son nom à son peuple, il lui transmit encore quelques-unes de ses qualités. Peu de temps après, le pays était découvert, défriché de toutes parts, la petite nation grossie, les familles nombreuses. Le travail ne féconde pas seulement la terre, il multiplie les hommes ; bientôt la seconde patrie ne