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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/827

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manque d’habitans ; partout ailleurs la vie renaît, déborde. En 1865, malgré le choléra, les naissances ont encore excédé les décès en proportion croissante, et, si cette fécondité continuait, il ne faudrait que quatre-vingts ans à l’Italie pour doubler le nombre de ses habitans. Il en faudrait cent quatre-vingt-trois à la France et deux cent dix-sept à l’Autriche. L’Italie peut déjà proclamer avec orgueil que, malgré tous les maux soufferts, les pestes, les famines, les guerres étrangères, les guerres civiles, les émigrations et les proscriptions, elle est aujourd’hui plus riche en habitans qu’elle ne le fut jamais, même sous les Romains. Et ces habitans sont des Italiens. Les étrangers qui vivent parmi eux sont moins nombreux qu’on ne le croit ; lors du recensement, ils étaient en tout de 88 à 89,000 ; 10,000 environ figuraient dans les cadres des fonctionnaires, des policiers et des soldats. Qu’on se rassure pourtant, ces soldats non italiens n’avaient rien de commun avec les zouaves du pape ni avec les Suisses du roi de Naples. Quoi qu’on puisse dire contre le gouvernement de Victor-Emmanuel, on lui rendra au moins cette justice que, pour contenir les populations, qu’on dit si mécontentes, il n’a jamais été forcé d’enrôler des mercenaires à Antibes ou à Besançon. Ces soldats inscrits comme étrangers étaient d’anciens ou de futurs Italiens, des Niçois ou des Savoyards qui n’avaient pas encore quitté les drapeaux, des hommes de Venise et de Rome qui n’avaient pas voulu attendre l’affranchissement de leurs clochers pour servir la patrie commune.

Ainsi l’on peut dire qu’en Italie même les étrangers sont Italiens ; ceux qui ne le sont pas le deviennent. Au bout de peu de temps, les Français qui s’établissent à Naples, par exemple, adoptent 3a langue et les mœurs du pays. Ils se nourrissent de pâtes, boivent de l’eau soufrée, font la sieste, se couvrent de bijoux, aiment la musique et ne vont plus à pied. Dans ces contrées souvent conquises, souvent occupées par de longues invasions, jamais les Gaulois, les Germains, les Espagnols, n’ont pris pied ; ils sont restés à fleur d’eau, portés par ces peuples qu’ils dominaient sans pouvoir les conduire. Ils n’étaient pas plus maîtres des Italiens qu’un vaisseau n’est maître de la mer. Quand ils s’éloignaient, car ils n’ont jamais pu demeurer, leur sillage se refermait aussitôt derrière eux. Ils ont pu souvent occuper l’Italie, ils ne l’ont jamais possédée : Milan, Denise, sont restées italiennes sous les Autrichiens, Rome sous les Français est restée romaine. Cette ténacité de l’esprit national affirmait l’existence d’une Italie bien longtemps avant les annexions.

D’ailleurs ce pays si nettement limité, séparé des autres par les Alpes et les trois mers, ses frontières naturelles, traversé par des