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passer plusieurs mois chaque année en ces pâturages éloignés, sans maison ni famille, seuls avec leurs troupeaux, dans un isolement bestial et farouche. Il a fallu, en janvier 1865, une loi du parlement pour faire cesser de pareils abus ; le Tavoliere, qu’il était naguère défendu de cultiver, sera rendu à l’agriculture, et ces bergers qui se faisaient volontiers brigands, ces bêtes brutes, le mot n’est pas trop dur, qui tournaient si facilement en bêtes fauves, seront rendus à l’humanité.

Enfin nous gagnons la Sicile, l’ancien grenier de l’Italie. Ici s’ouvre la campagne de Palerme, qui a gardé son nom de conque d’or ; là se succèdent sans interruption entre Messine et Catane des jardins plantureux, copieusement arrosés, qui enrichissent 17,000 maraîchers et nourrissent l’île entière. La population est serrée, et quantité de villages hissent leurs clochers entre la mer et les monts ; mais tout le centre de l’île est un désert sans routes, presque sans culture, inondé en hiver par des torrens qui tarissent en été. Les grands seigneurs, absens comme ceux d’Irlande, louent aux fermiers des terres immenses que les fermiers sous-louent aux paysans, et les paysans, qui ne possèdent rien, abandonnent la plus grande partie de ces terres aux brigands, ne cultivant que les environs des gros bourgs, où ils s’amassent. C’est ainsi que d’un bout à l’autre de l’Italie, sauf çà et là dans quelques riches oasis, le laboureur se contente de vivre, et ne reçoit de la nature clémente que les lupins ou le maïs de son unique repas. La terre est toujours féconde ; c’est le travail qui manque, c’est peut-être aussi le besoin. Pourquoi lutter avec la nature ? Elle est si bonne ! il faut si peu pour vivre en Italie, et la sieste est si douce, même en hiver, sous la chaleur qui tombe du ciel ! Ainsi pensaient les moins fortunés, non pourtant ceux du nord, exposés à l’âpre vent des montagnes. Les gouvernemens se réjouissaient de cette nonchalance, il est facile de contenir un peuple qui dort. Si l’année était mauvaise, on mendiait sans fausse honte, surtout dans les états pontificaux. Dans presque tous les couvens, les quémandeurs trouvaient table ouverte ; les bons moines, quêtant pour eux, leur ôtaient jusqu’à la peine de mendier. Plus le suppliant était dévot, mieux il était servi ; c’est ainsi que la piété se trouvait récompensée en ce monde, en attendant les récompenses de l’autre. En Ombrie et dans les Romagnes, on trouvait 2 ou 3 mendians sur 100 habitans, — François II en laissa 13,000 dans la seule ville de Naples. Parmi ces malheureux qui tendaient la main, il n’y avait pas seulement des infirmes, des estropiés, des crétins, ni quelques-uns des 17,000 sourds-muets ou des 10,000 aveugles que comptait l’Italie en 1861 ; il y avait des milliers d’hommes forts et sains qui ne trouvaient pas le métier