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pour aller décimer sur les deux rives du Parana la population d’un pays qui passe pour être le plus salubre du monde entier.

Bien nombreuses, hélas ! sont les causes de ces déplorables événemens. Les traditions coloniales qui ont transmis à Buenos-Ayres le rôle de métropole autrefois réservé à Madrid, les ambitions des généraux, les rivalités personnelles, l’ignorance profonde des populations, les mœurs sauvages de la guerre civile, toutes ces choses ont contribué à maintenir le désordre politique dans les contrées platéennes ; mais, on le sait, les dangers de la situation actuelle proviennent en grande partie de l’ingérence du Brésil dans les affaires des républiques ses voisines. Qu’un terme soit mis à cette intervention, et certainement une période de progrès et de tranquillité relative commencera pour les régions de la Plata. Déjà par deux fois les hommes d’état qui gouvernent l’empire sud-américain ont refusé la médiation que leur offrait le cabinet de Washington ; mais ne seront-ils pas trop heureux de l’accepter, si les Argentins dénoncent l’alliance faite avec le Brésil et ferment à la flotte impériale les passes du Parana ? C’est à ce point de vue que l’élection d’un nouveau président de la république argentine peut avoir une grande importance, car le pays est las de la politique suivie par le général Mitre, et, que le nouvel élu se laisse diriger par l’amour de la popularité ou par le sentiment de la justice, il ferait bien de consacrer tous ses efforts à terminer l’affreuse tuerie qui ensanglante les bords du Paraguay[1].


I

Les rêves de gloire que le général Mitre a pu faire au commencement de sa présidence de six années ne se sont point réalisés ; ils ont même été cruellement trompés, surtout dans la dernière période de sa longue administration. Revêtu du titre pompeux de général en chef des armées alliées, disposant des ressources militaires de trois nations, non-seulement le président n’a point accompli en trois années l’œuvre de conquête qu’il affirmait présomptueusement devoir achever en trois mois, mais il n’a même pu attacher son nom à aucune des victoires partielles que les alliés disent, à tort ou à raison, avoir remportées. A Riachuelo, c’est un Brésilien, le baron de Amazonas, qui commandait la flotte ; à l’Uruguayana, c’est dom Pedro qui a ravi à M. Mitre l’honneur de faire d’un coup six mille prisonniers paraguayens ; à Tuyucué, à Tayi, c’est au marquis de Caxias que revient le mérite des opérations militaires ; au passage des navires cuirassés devant la forteresse d’Humayta, c’est encore un Brésilien, le capitaine Delphim de Carvalho,

  1. Voyez, dans la Revue, les livraisons du 15 octobre 1866 et du 15 décembre 1867.