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vice-président de la république, s’était franchement présenté aux suffrages des électeurs comme adversaire du Brésil, et ceux-ci se sont associés à.sa pensée en faisant sortir son nom de l’urne électorale. « La guerre contre le Paraguay, s’était-il écrié devant l’assemblée législative de Buenos-Ayres, devient de plus en plus barbare, et ne peut finir que par l’extermination de l’un des belligérans ; c’est une guerre atroce, où plus de la moitié des combattans ont déjà succombé, une guerre funeste à laquelle nous sommes enchaînés par un traité non moins funeste, dont les clauses sont calculées pour que la lutte se prolonge jusqu’à ce que la république tombe épuisée et sans vie… Le moment est venu pour les pouvoirs publics de décider si l’honneur de la nation n’est pas suffisamment lavé par le sang répandu de 100,000 combattans ! » Lors de l’inauguration d’un hôtel des invalides, le même orateur déplorait hautement que la construction d’un pareil édifice eût été nécessaire, il souhaitait que le jour vînt bientôt où, grâce à la paix entre les frères platéens, on pourrait le transformer en école. Les articles secrets du traité d’alliance, ont été l’objet des plus vives interpellations dans le sein du congrès, et l’état de siège, qui avait duré trois ans dans toute l’étendue de la république, a été sinon aboli, du moins singulièrement mitigé ; on parlait même de mettre le président Mitre en accusation et de le faire déposer par le sénat. Ainsi que l’on peut en juger par leurs constitutions, presque toutes calquées sur celle des États-Unis, en dépit de la grande différence du génie national, les Hispano-Américains et surtout les habitans de la Plata aiment à prendre pour modèle la puissante république du continent septentrional. En apprenant que la chambre des représentans avait cité le président Johnson devant la barre du sénat de Washington, nombre de députés argentins se sont promis d’en faire autant à l’égard de l’usurpateur Mitre, qui n’avait pas craint de substituer sa volonté à celle du peuple pour déclarer une guerre inique de conquête et de spoliation ; mais, il faut le dire, la nouvelle de l’acquittement de M. Johnson a refroidi leur zèle, et maintenant on semble décidé à laisser M. Mitre en paix jusqu’au 12 octobre, qui est le dernier jour de son mandat présidentiel.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas sans peine que les Argentins réussiront à se dégager du réseau de mailles dans lequel les avait enveloppés la politique brésilienne. Par la durée même des opérations militaires, la guerre menace de devenir une sorte d’institution, une maladie chronique, et l’on s’est habitué aux péripéties des combats comme aux changemens des saisons ; d’ailleurs tous les marchands, fournisseurs ou entrepositaires qui approvisionnent l’armée et qui vivent de ce trafic ont intérêt à voir la lutte se prolonger, et par leurs vociférations ils réussissent à former dans toute assemblée