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La nouvelle des événemens qui s’étaient accomplis sur les bords du Paraguay fut reçue à Rio-de-Janeiro et dans les autres villes brésiliennes avec une sorte de délire. On annonçait comme certaine toute une série de victoires improbables. Non-seulement le passage était forcé, mais Curupaity, Humayta, Timbo, s’étaient rendus, la capitale était occupée par les alliés, le maréchal Lopez, suivi de quelques séides, s’était jeté précipitamment dans les solitudes du Chaco, cherchant à gagner le territoire de la Bolivie et poursuivi par les Indiens sauvages. La guerre était décidément finie, la paix et le commerce allaient refleurir, la politique brésilienne recueillait le fruit de ses patiens efforts, et reprenait une prépondérance incontestable dans le bassin de la Plata ; l’Assomption, Montevideo, Buenos-Ayres, devenaient de simples préfectures de l’immense empire. Telles étaient les douces illusions que la lassitude de la guerre faisait naître dans l’esprit des Brésiliens, et pendant ce temps-là le président Lopez prenait ses mesures pour transformer l’exploit de leur flotte cuirassée en un triomphe inutile. Profitant de ce que les routes du Chaco étaient restées libres, il retirait la plus grande partie de la garnison d’Humayta, fortifiait le poste de Timbo pour assurer ses communications par la rive droite, et construisait un camp retranché au nord de la rivière Tebicuari, cours d’eau parallèle au Parana, et bordé comme lui de marécages et de lagunes qui en rendent le passage très difficile à une armée. En outre il faisait travailler avec la plus grande activité à la prolongation du chemin de fer qui se dirige de l’Assomption vers l’intérieur du Paraguay, et, deux mois après l’apparition de l’ennemi devant la capitale, les locomotives parcouraient déjà les 140 kilomètres qui séparent l’Assomption de Villa-Rica, chef-lieu du district central de la république.

Tandis que les Paraguayens étaient ainsi occupés à changer leur ligne de base, à prendre de nouvelles dispositions stratégiques, à transformer la citadelle d’Humayta en un simple avant-poste des fortifications du Tebicuari, ils ne restaient pas inactifs pour l’attaque, et même ils risquaient un assaut d’une hardiesse sans pareille contre une partie de la flotte brésilienne restée en aval de la chaîne, entre Humayta et Curupaity. Contre ces monstres de fer, le maréchal Lopez n’avait pas même des vaisseaux de bois, car la flottille du Paraguay se compose seulement de petits vapeurs nécessaires au transport des troupes et des approvisionnemens entre le Tebicuari, l’Assomption et les forts conquis dans le Matto-Grosso ; mais à défaut de navires il pouvait compter sur des hommes vraiment sans rivaux pour le courage et pour le mépris de la mort, qui ne craignent pas d’attaquer sur des troncs d’arbres des frégates cuirassées. Vers minuit, quelques centaines de volontaires, ramant