Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/954

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous indemniser de la perte de notre établissement de Plaisance, le traité nous autorisait à fortifier dans l’île du Cap-Breton autant de points que nous le jugerions convenable. Les choses allèrent ainsi jusqu’au traité de Paris, en 1763. Cette fois, la guerre avait été désastreuse pour nous dans ces parages. Nous y perdions non-seulement le Cap-Breton et le poste important de Louisbourg, mais aussi les deux Canadas. Néanmoins les négociations du traité consacrèrent expressément à nouveau dans l’article 5 les stipulations du traité d’Utrecht, et, comme ils reconnaissaient la nécessité pour la France d’avoir dans ces mers un point d’appui pour ses pêcheries, ils nous attribuèrent la souveraineté des îles Saint-Pierre et Miquelon à titre de compensation (à la vérité un peu dérisoire) de la perte du Cap-Breton. Quoi qu’il en fût, le principe était sauvegardé. Vingt ans plus tard, en 1783, l’article 5 du traité de Versailles rappelle les dispositions du traité d’Utrecht, et leur donne une sanction nouvelle. Seulement, une partie de la côte qui nous était attribuée ayant été pendant la guerre abandonnée par nous et occupée par les Anglais, on convint, afin d’éviter tout sujet de querelle, de reporter notre limite orientale du cap Bonavista au cap Saint-Jean, en même temps que, comme compensation sur la côte occidentale, nous nous étendrions au-delà de la Pointe-Riche jusqu’au cap Ray. C’était un échange territorial très équitablement conçu et librement consenti de part et d’autre. Disons enfin, pour terminer ce résumé d’histoire diplomatique que le traité d’Amiens en 1802, plus tard les traités de Paris du 30 mai 1814 et du 20 novembre 1815 revinrent purement et simplement à l’état de choses existant avant 1792, c’est-à-dire aux dispositions de 1783, confirmatives de celles du traité d’Utrecht.

Ainsi se trouva définitivement consacrée l’étrange situation que nous définissions plus haut pour la portion de littoral affectée à la France. En 1713, la population anglaise de l’île était trop clair-semée pour qu’il pût être question d’empiétemens de sa part sur notre territoire. De nos jours même, lorsqu’on commençait à se préoccuper de son développement, vers 1835, tout au plus comptait-elle chez nous 1,500 habitans ; encore la plupart d’entre eux n’étaient-ils là qu’à titre de gardiens de nos établissemens. Aujourd’hui c’est à peine si ce chiffre a doublé, ce qui n’a rien assurément d’inquiétant pour une étendue de côtes de plus de 200 lieues. Néanmoins c’en est assez pour faire pressentir dans un avenir plus ou moins éloigné de quelle nature sera le problème qui s’imposera à nos hommes d’état, et déjà d’ailleurs à diverses reprises la législature anglaise de Terre-Neuve s’en est émue assez pour que ses doléances à ce sujet reviennent maintenant chaque année sur le