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pour les pêches avec sécherie, et de 30 francs pour les pêches sans sécherie, les autres de 20 à 12 francs par quintal métrique de poisson, selon la destination des produits. La charge qui en résulte pour l’état est insignifiante, puisqu’elle ne dépasse pas 2 millions de francs dans les meilleures années, et que, grâce à ce mince sacrifice, nous nous assurons une pépinière permanente d’environ 10,000 matelots de premier ordre. Bien loin donc qu’il y ait lieu de formuler contre cette minime dépense une protestation en l’honneur du principe de la liberté commerciale, nous pensons qu’il est de notre intérêt de la maintenir, et peut-être y aurait-il avantage à en augmenter le chiffre, en présence de la diminution progressive de notre population maritime. Terminons en disant que l’administration de cette colonie microscopique ne coûte que 300,000 francs, tant au personnel qu’au matériel ; c’est le plus économique de nos établissemens d’outre-mer, et ce n’est assurément pas le moins utile.

Malgré tous ces mérites, il en est un peu de Saint-Pierre-Miquelon comme de la jument de Roland dans l’Arioste. Nous ne chercherons donc à établir aucune comparaison entre notre îlot et Saint-Jean, le chef-lieu de la colonie anglaise, grande ville de 30,000 âmes où se trouvent réunies toutes les séductions de la société moderne, un gouvernement, un parlement, des consuls, des tribunaux, des églises catholiques et protestantes de toutes les dénominations, des mes éclairées au gaz, des journaux, des banques, et jusqu’à une maison de fous. Autour de la ville, des routes bien entretenues montrent de distance en distance quelques-uns de ces jolis cottages dont les Anglais ont le secret. Quelques fermes aussi sont éparses çà et là, comme pour rappeler à l’esprit que l’on est sur une terre appartenant aux premiers agriculteurs du monde, bien que l’aspect même de ces cultures ne donne pas une idée très encourageante de la fertilité du sol. On renaît en un mot à la vie civilisée, et l’on jouit par contraste de tout ce dont on a été privé pendant des mois d’exil au pays de la morue. Ce n’est pas que Saint-Jean n’ait rien à démêler avec ce précieux poisson, tout au contraire, mais au moins la ville a-t-elle atteint ce degré de prospérité et d’importance où elle n’est plus obligée d’étaler à ses portes l’abominable cuisine de l’industrie qui la fait vivre. Le temps de la relâche s’écoule donc on ne peut plus agréablement, et l’on y retrouve cette existence toujours à peu près la même que les Anglais transportent à leur suite sur les nombreux points du globe où ils ont jugé bon de s’établir. Partout l’intérieur des maisons aura le même cachet, ou pour mieux dire le même air de famille, partout le programme des journées ramènera à la même heure ce dîner stéréotypé qui tient une place si importante dans cette vie d’outre-mer, surtout quand la visite