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sous le coup du monotone développement des pêcheries de la côte française. On dirait des gracieux méandres d’un parc anglais succédant au chaos désolé de la plus sauvage nature. Sydney en effet n’est plus sur la grande île de Terre-Neuve ; sentinelle avancée de l’Amérique vers l’Europe, ce port s’ouvre aux vaisseaux sous la forme d’un bras de mer étroit et profond, découpé dans le promontoire le plus oriental du Cap-Breton. A droite en entrant, de hautes cheminées en briques rouges profilent sur le ciel des panaches de fumée ; ce sont les riches mines qui font la fortune du pays. On en extrait le charbon à si peu de frais que le prix moyen ne s’élève pas au-dessus de 13 francs la tonne. Là est le Sydney moderne, dit Sydney-Mines, qui, bien que d’origine relativement récente, se développe et s’accroît de jour en jour, de manière à laisser prochainement bien loin le Sydney primitif, situé sur l’autre rive à quelques milles plus avant dans l’intérieur. Quoique ce dernier se targue de l’ambitieuse appellation de Sydney-Ville, ce n’est, à proprement parler, qu’un village, et même un village de médiocre importance, mais si frais, si coquet, si ombreux sous ses grands arbres, si anglais en un mot, qu’on n’hésite pas à préférer ce calme champêtre à l’agitation bruyante et affairée dont les mines sont le théâtre. Aussi est-ce là que nos bâtimens reviennent périodiquement prendre quelques jours de repos, après avoir rempli leurs soutes de charbon et renouvelé leur provision de bétail. Les officiers, souvent déjà familiers avec le pays, n’ont qu’à renouer les relations des années précédentes, et leur venue manque rarement de servir de prétexte aux réunions hospitalières des familles des environs. Cependant lorsqu’en 1867 le programme de la campagne nous conduisit à notre tour à Sydney, l’accueillante société que nous nous faisions fête d’y retrouver ne jouissait pas de cette tranquillité parfaite, et l’harmonie accoutumée du Cap-Breton était profondément troublée par des préoccupations politiques qui pour la première fois partageaient ce petit monde en deux camps. L’origine de cet état de choses mérite d’être expliquée, comme se rattachant à un épisode de l’histoire contemporaine peu connu et très instructif.

Rien n’est plus à la mode en France que de préconiser sans réserve les doctrines anglaises en matière coloniale, et lorsque dans ces dernières années le projet de réunion de toutes les possessions anglaises de l’Amérique du Nord en une confédération unique fut à diverses reprises mis et remis sur le tapis, on se souvient de quel concert d’éloges il fut salué par la presse française. Nos journaux à la vérité n’étaient en cela que les échos de ceux d’Angleterre. Le Times avait donné le branle, et le chœur n’avait été troublé par aucune protestation partie d’Europe. — Il s’en fallait