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tenus pour battus ; ils ont continué à protester plus que jamais contre « les agitateurs qui singent les Césars, » et ils se sont réunis ailleurs ; ils ont formé un camp à part, de telle sorte que pendant quelques jours, au lieu d’un congrès, il y en a eu deux à Berlin. Le plus libéral était assurément celui des expulsés. M. Schweitzer est pourtant resté maître du terrain ; il a retenu autour de lui la majorité des délégués des sociétés ouvrières, excommuniant du haut de la dictature qu’on lui décernait les dissidens suspects d’intelligence avec le capital, et tout a fini ainsi. Au fond, c’est là comme partout la guerre de la démocratie autoritaire et de la démocratie libérale. Si ce n’est pas pour le moment le plus grand souci de M. de Bismarck, c’est du moins le signe des idées qui fermentent en Allemagne, et qui se mêlent à toutes les questions d’organisation nationale.

La Prusse surmontera ses embarras, qui sont un peu quelquefois les embarras de la force et de la victoire. L’Autriche se tirera-t-elle aussi bien de toutes les complications dont elle est assaillie, qui ne lui viennent pas uniquement de sa grande défaite d’il y a deux ans, mais dont cette défaite a déterminé l’explosion ? Assurément l’Autriche a montré de la bonne volonté depuis deux ans ; elle a fait ce qu’elle a pu pour se relever, elle a réussi quelquefois, elle a retrouvé par ses intentions libérales une certaine popularité, et elle semble aujourd’hui voir se dresser devant elle toutes les difficultés d’une situation complexe et délabrée. Elle se sent placée dans des conditions telles qu’elle ne peut ni reculer ni avancer sans retomber dans des crises plus aiguës et plus redoutables. Le gouvernement autrichien a fait sa paix avec la Hongrie, c’est là sa grande œuvre depuis deux ans : la Hongrie y a trouvé la réalisation de ses vœux, le couronnement d’un persévérant travail conduit avec autant d’intelligence que de fermeté par un grand patriote ; l’Autriche y a trouvé un allégement, une force relative. Malgré tout, il est impossible de ne pas voir que ce n’est qu’une trêve, que pour le gouvernement autrichien la question est restée la même partout excepté en Hongrie. C’est toujours l’insurrection plus ou moins pacifique des nationalités non allemandes de l’empire contre la prépondérance de l’élément germanique ; c’est la lutte entre un fédéralisme favorable aux autonomies provinciales et un centralisme à peine déguisé.

L’Autriche pendant longtemps a pu contenir sans pouvoir les étouffer ces nationalités vivaces sur lesquelles s’exerce sa souveraineté ; ses revers depuis quelques années, son affaiblissement, les satisfactions mêmes qu’elle a données à la Hongrie, les libertés qu’elle a accordées, le mouvement des choses en Europe, tout est venu exciter, encourager dans leurs espérances ces populations de race diverse. De là toutes ces complications que la récente session des diètes provinciales n’a fait que mettre à nu, et qui deviennent une source d’embarras pour le cabinet cisleithanien. Si le gouvernement autrichien se tourne du côté de la Bo-