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traiter avec les questions religieuses, si l’on pouvait en séparer les intérêts matériels qui s’y rattachent ; mais le moyen qu’il en soit ainsi ? Comment attendre que des hommes d’ailleurs éclairés et sincères se montrent très frappés de l’injustice des privilèges qu’ils partagent avec leur ordre ? Ge n’est donc point au banc des évêques qu’il faut demander avis sur les inconvéniens de l’église établie en Irlande. Ils sont, comme on dit, juges et parties dans leur propre cause. Les pairs laïques, il est vrai, ne se trouvent point retenus par les mêmes considérations ; mais des liens de solidarité les unissent de très près au clergé anglican. « Nous sommes tous dans le même vaisseau, » disait l’un d’eux à un évêque. Il y a par les gros temps un moyen d’empêcher les vaisseaux de couler à fond, et cette méthode bien connue des navigateurs, qui l’ont peut-être enseignée aux sages hommes d’état de l’Angleterre, est de faire la part de la tempête. La chambre des lords elle-même a plus d’une fois pratiqué de tels sacrifices ; mais qu’il est dur de s’y résigner du premier coup ! Ce qui enlevait beaucoup à l’intérêt de la soirée, c’est que la décision des pairs était connue d’avance. Tout le monde savait très bien qu’on n’allait point assister à une nuit du 4 août. Le clergé anglais, d’accord avec la noblesse, avait au contraire juré de défendre par tous les moyens ses prétentions sur l’Irlande.

La discussion fut tour à tour solide et ardente : pour l’élévation du langage, la force du raisonnement et la véritable éloquence, elle égala, si même elle ne surpassa, la grandeur des débats qui avaient eu lieu dans l’autre chambre sur cette question délicate. Le premier qui prit la parole au milieu du brillant et solennel auditoire fut le duc d’Argyll. Homme de son siècle, quoique fortement attaché à l’esprit de la Bible, nourri de sévères études, nullement étranger aux matières cléricales, il a dans le ton de la voix, dans le geste sobre et raide, tous les traits historiques d’un lord presbytérien. Il soutint le projet de loi de M. Gladstone. A ceux qui traitent de sacrilège la conduite des hommes d’état étendant la main sur les biens ecclésiastiques, il répondit fièrement que « l’argent donné à l’église n’était pas toujours de l’argent donné à Dieu. » Son discours sage, mesuré, un peu froid, s’adressait aux nobles sentimens de la nature humaine. Libéral, le duc ne se faisait guère illusion sur le sort réservé ce soir-là au bill de la chambre des communes ; . mais « la dignité d’un parti politique, s’écria-t-il, est d’envelopper sa fortune dans les mesures qu’il propose. La défaite en pareil cas est encore une victoire, car elle éclaire le pays. » C’était maintenant aux adversaires d’ouvrir le feu : ils ne pouvaient mieux choisir pour cette manœuvre que l’évêque d’Oxford. Entre les deux orateurs, le contraste est saisissant. Autant le duc d’Argyll s’était