Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre d’antagonistes n’ont-ils point successivement abandonné les positions avancées qu’ils avaient occupées d’abord ? La chambre des lords est un frein, mais c’est un frein intelligent qui cède à la pression du temps et des idées. Aussi les Anglais se montrent-ils beaucoup moins préoccupés de la résistance des pairs que de la signification du jugement qui va être rendu par le pays. Qui l’emportera aux prochaines élections, de l’église établie ou de la liberté de conscience ? Jamais question plus grave ne s’était adressée dès le début à une réforme politique plus radicale. Ce qu’il y a, je crois, à craindre de la part des nouveaux électeurs est la confusion des idées. Plusieurs d’entre eux ne sont sans doute que trop portés à juger la proposition de M. Gladstone au point de vue de leurs sympathies religieuses. C’est pourtant la considération qu’il faudrait écarter. Les croyances n’ont rien à voir dans la lutte qui vient de s’engager, et il est inutile d’en appeler à l’histoire de la réformation. Que, dans un temps où sur toute l’Europe l’église était indissolublement unie à l’état, l’Angleterre ait choisi la foi religieuse qui se prêtait le mieux à l’alliance du pouvoir et de la liberté, c’est un fait incontestable. Le protestantisme n’a certes point été étranger en Angleterre à la conquête du gouvernement constitutionnel. Une église établie qui, tout en maintenant sa dignité, se montrait soumise au contrôle des pouvoirs civils a pu rendre des services et surtout abaisser de grands obstacles. Aussi n’est-ce point le passé qui est en question, c’est le présent. Il s’agit de savoir si cette église d’état, à laquelle tout le monde rend hommage, ne s’affaiblit point en se soutenant dans l’île-sœur (sister island) par une injustice.

Les meetings succèdent aux meetings, et le signal du mouvement est parti du clergé. Jamais l’union protestante n’avait pris une part si directe ni joué un rôle si actif dans les élections. Un grand meeting des évêques dans Saint-James’s-Hall a en quelque sorte ouvert la marche. Si l’éclat des dignités, l’importance des positions sociales et la pompe des titres suffisaient à décider de la valeur d’une cause, ce début aurait été un succès, car à un grand nombre de prélats se mêlaient plusieurs membres de la noblesse et le lord-maire de Londres. L’effet moral n’a pourtant guère répondu à ce qu’on attendait. Est-ce le protestantisme qu’on prétend affermir par ces manifestations ? Dans ce cas, l’intention est excellente, mais le terrain des débats est mal choisi. Le clergé anglais combat cette fois pro aris et focis ; on l’accuse même de plus considérer les intérêts du presbytère que ceux de l’autel, et son langage, il faut bien le reconnaître, n’est point de nature à démentir cette opinion. L’église anglicane partage l’illusion de toutes les anciennes suprématies :