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démonstration qui a eu lieu le 17 août au Palais de Cristal[1]. S’il fallait en croire les orateurs cléricaux, l’Angleterre se trouverait à deux doigts de sa perte. Rome serait à la veille de ressaisir sa proie par-delà les mers. Encore quelques années, et l’acte fondamental qui assure la succession du trône à une famille protestante serait rapporté par les chambres… Tout cela est sans doute fort exagéré : que l’église anglicane ne regarde point au dehors, c’est en elle qu’est l’ennemi. Le catholicisme ultramontain n’a de force que celle qu’on lui donne. Ou l’église établie représente la liberté de pensée en matières religieuses, ou elle ne représente absolument rien, et c’est pour avoir trop oublié son origine, trop déserté le terrain de sa véritable puissance, qu’elle a depuis quelque temps compromis sa situation dans le pays. Entre elle pourtant et un autre culte encore bien moins favorable aux droits de la raison, les sympathies des masses n’hésiteraient point un instant à se prononcer. Beaucoup de ceux qui réclament en faveur de l’Irlande un acte de sagesse et d’équité se retireraient aussitôt de la lutte ou passeraient du côté de M. Disraeli, s’il leur était prouvé que cette mesure dût entamer les conquêtes de la réformation. On comprend alors reflet de sinistres prophéties s’adressant à une nation très foncièrement protestante et facile à prendre l’alarme quand on lui parle de ses croyances menacées. La liberté est ici le drapeau que se disputent tous les partis, et chacun d’eux cherche à lui donner ses couleurs. Aussi les orateurs protestans demandent-ils fièrement à leurs adversaires ce qui resterait des droits politiques après un certain temps, si l’Angleterre livrait à l’ennemi les armes spirituelles dont elle s’est autrefois servie pour assurer sa victoire sur le despotisme. Cette intervention des idées religieuses dans une lutte électorale peut offrir des dangers, mais elle a sa grandeur. Il est curieux de voir une nation érigée en concile, maîtresse de ses croyances, et décidant d’un tour de scrutin quel sera le sort de son église. On se tromperait d’ailleurs beaucoup en cherchant dans le résultat, quel qu’il soit, une profession de foi contraire aux traditions nationales. Qui entend le mieux dans cette question les véritables intérêts du protestantisme, M. Disraeli ou M. Gladstone ? Tel est le problème qui s’agite en ce moment. Un nuage pèse sur les élections prochaines, et ce nuage, nous n’essaierons pas de le dissiper par de vaines conjectures. L’opinion libérale est après tout celle qui aurait le moins à souffrir d’une défaite. Un parti qui succomberait en Angleterre pour avoir voulu accomplir à ses risques et périls un acte de justice

  1. Ce meeting, annoncé avec emphase, a manqué son effet. On s’attendait à un concours de 100,000 hommes, il y avait à peine 7,000 personnes.