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l’eau marquait 2 degrés au-dessus du point de congélation de l’eau de mer. Tournant le cap Jackson pour longer la côte, ils firent leur dernière marche en s’avançant rapidement sur un champ de glaces plates à raison de 6 milles par heure. Plus ils gagnaient le nord, plus la température s’élevait, et avec elle tout renaissait à la vie. Quoique la saison fut peu avancée, les plantes étaient nombreuses. « Au havre de Rensselaer, dit Kane, a l’exception du phoque nestrik ou du rare héralda, nous n’avions aucun objet de chasse ; mais là l’oie de Brent, l’eider, le canard royal, étaient si nombreux, que nos voyageurs en tuaient deux d’une simple balle. L’oie de Brent n’avait pas été vue depuis l’entrée sud du détroit de Smith. Elle est bien connue du voyageur polaire comme un oiseau émigrant du continent américain ; elle se nourrit de matières végétales, généralement de plantes marines, avec les mollusques qui y adhèrent ; on la voit rarement dans l’intérieur, et ses habitudes en font un indice de la présence de l’eau. Les rochers étaient couverts d’hirondelles de mer. Tous ces oiseaux occupaient les premiers milles du canal depuis le commencement de l’eau libre, mais plus au nord des oiseaux nageurs prenaient leur place. Les mouettes étaient représentées par quatre espèces. Les kittiwahes (Larus tridactylis) étaient encore occupés à enlever les poissons de l’eau, et leurs tristes cousins, les bourgmestres, partageaient un dîner qui leur était servi à si peu de frais. De la flore, je dirai peu de chose, et j’oserai encore moins en tirer des conclusions quant à la température. La saison était trop peu avancée pour l’épanouissement de la végétation arctique. Chose étrange, le seul échantillon rapporté fut un crucifère (Hœperis pygman), dont les siliques, contenant de la semence, avaient survécu à l’hiver. Cette plante trouvée au nord du grand glacier ne m’avait pas été signalée depuis la zone sud du Groenland. »

Dans la continuation du voyage, la glace qui avait servi de sentier pour les chiens devint de plus en plus mince et finit par disparaître. Morton gravit alors des rochers le long de la plage d’une mer qui venait briser ses vagues à ses pieds. Là, pour la première fois, il remarqua le pétrel arctique (Procellaria glacialis), dont la présence en ces parages montre l’exactitude de son observation. Cet oiseau, qui ne vit que de poisson, n’avait pas été aperçu depuis qu’on avait quitté les eaux hantées par les baleiniers anglais, à plus de 200 milles au sud. Le 24 juin, les deux explorateurs furent arrêtés par un cap qu’ils ne pouvaient franchir, la mer en battait le pied. Monté sur une hauteur d’à peu près 100 mètres, Morton y planta l’étendard américain, et donna à ce point le plus avancé le nom de cap Indépendance. Il était à 81° 22’ et ne voyait à l’est et au nord qu’une mer libre s’étendant à perte de vue.

Cette précieuse découverte, qui fixait d’une façon si inattendue les idées sur la nature des régions arctiques au nord du détroit de Smith, ne pouvait être acceptée sans de vives discussions, mais elle fut confirmée d’une manière éclatante sept ans plus tard par le Dr Hayes. Ce dernier,