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manufactures qui semblent l’inévitable forme de l’industrie moderne. Toute sa richesse s’était développée avec de simples métiers à la main. Depuis que de nouvelles nécessités ont surgi, de grandes manufactures se sont fondées par association, et aujourd’hui les deux formes de la fabrique sont en présence. L’ancien système n’a pas dit son dernier mot, 15,000 métiers battent encore dans les campagnes ; mais on n’est pas sans inquiétude sur l’avenir de cette organisation patriarcale. Tous les hommes prévoyans sentent le danger et cherchent à le prévenir ; on travaille a perfectionner le métier à la main pour le mettre en état de soutenir la concurrence. La transformation dans tous les cas sera lente et graduelle, ce qui peut ouvrir la voie à des combinaisons diverses. On peut, par exemple, disséminer dans les campagnes les grandes manufactures, de sorte que l’ouvrier retrouve le soir sa maison et sa famille. Il ne s’agit pas ici, comme à Mulhouse, de rendre l’ouvrier propriétaire, il l’est généralement ; il s’agit de le séparer le moins possible de sa propriété. L’aisance répandue par cette grande production a favorisé l’essor de toute sorte d’industries secondaires. L’exposition en contenait de nombreuses preuves, même pour les industries de luxe, comme la carrosserie. La ville est bâtie en granit, ce qui lui donne un aspect sévère ; mais depuis peu d’années elle s’est enrichie de plusieurs monumens construits avec goût, comme une belle église et une vaste halle.

L’agriculture a suivi l’industrie dans son développement. Le sol du canton de Flers est cependant peu fertile. Quand on parle de la Normandie, on se figure toujours ces riches herbages, dons naturels du sol et du climat, qui font l’orgueil de cette province privilégiée. Rien de pareil ne se retrouve à Flers. L’arrondissement de Domfront fait partie du Bocage normand, qui s’étend sur les confins des trois départemens de la Manche, de l’Orne et du Calvados, et qui forme à peu près le cinquième de la Normandie. Au lieu de larges vallées descendant doucement vers la mer, c’est un pays entrecoupé de coteaux et de vallons, à sol argilo-siliceux et à sous-sol schisteux ou granitique. Il y a cent ans, on n’y trouvait guère que de mauvais bois, de grandes bruyères, des champs de seigle et de sarrasin, et dans les bas-fonds des prairies marécageuses qui nourrissaient un maigre bétail. Aujourd’hui les bois et les bruyères ont à peu près disparu, les prairies ont été nivelées et assainies, et les champs soumis à une culture qui ne connaît presque plus de jachères. La valeur moyenne de ces sols médiocres a monté à 1,800 francs l’hectare pour les terres arables, et à 2,600 pour les prairies, taux qu’atteignent difficilement des pays beaucoup plus fertiles. C’est la petite culture qui a fait sans bruit cette transformation ; aucune ferme n’a plus de 60 hectares, cinq ou six seulement en ont de 40 à 60 ; le sol presque tout entier est partagé en petites fermes de 15 ou 20 hectares, ou en petites propriétés de 4 ou 5. Là vit le peuple des petits tisserands, qui joint au profit agricole le salaire industriel.