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exil de la duchesse et du duc de Montpensier reste provisoirement un mystère dans la situation de l’Espagne, et il est assurément un embarras de plus pour le gouvernement, qui en a cependant assez déjà par la force des choses sans travailler à s’en créer de nouveaux et de toute sorte.

La question est de savoir si le ministère de M. Gonzalez Bravo se tirera de tous ces embarras, et si même il n’est point déjà singulièrement ébranlé. On le dirait fort menacé, à suivre d’un regard un peu attentif le travail qui s’accomplit autour de lui depuis la mort du général Narvaez. Au premier moment, lorsque le duc de Valence venait à peine de disparaître, le ministère, reconstitué sous la présidence de M. Gonzalez Bravo, semblait garder encore une certaine contenance ; puis on attendait ce qu’il allait faire, on espérait peut-être qu’ayant perdu l’épée qui le garantissait il allait se radoucir, revenir sans bruit à un régime plus régulier, sinon complètement libéral. C’est tout le contraire qu’il a fait ; il a multiplié les rigueurs en inspirant moins de confiance. A la première crise dont il s’est cru menacé, il a visiblement perdu la tête, et depuis ce jour le travail d’ébranlement et de décomposition s’accélère. Un des plus clairs symptômes de cette situation nouvelle, c’est la confusion qui se met parmi les amis du ministère. Le général Pezuela, qui avait été envoyé à Barcelone, a exprimé l’intention de quitter ce poste, et à son tour le général Pavia, marquis de Novaliches, qui avait été transféré de Barcelone à Madrid, a donné sa démission. Le ministre de la guerre lui-même a voulu se retirer, et d’autres généraux semblent vouloir suivre ce mouvement de retraite. Quelles sont les ressources de M. Gonzalez Bravo pour faire face à cette situation compliquée ? On lui prête, il est vrai, toute sorte de projets d’un pseudo-libéralisme destiné à donner à la masse du pays d’apparentes satisfactions en déconcertant les partis. Ce sont là sans doute de pures imaginations de nouvellistes, et ce ne seraient dans tous les cas que de périlleux expédiens d’un pouvoir en détresse. Il est infiniment plus probable que, si la reine ne se décide pas à appeler au gouvernement le général Pezuela, ce qui serait une victoire nouvelle et plus décisive de la réaction, elle aura recours pour le moment à quelque ministère d’apaisement et de conciliation. Ce ne sont pas à coup sûr les candidats qui manquent, il y en a peut-être trop ; mais ceux qui seront appelés à ce rôle aussi honorable que difficile ne pourront dégager la situation de l’Espagne qu’en la ramenant sans plus de retard dans les conditions d’une équitable tolérance et d’une suffisante légalité.

Révolutions et guerres, l’ancien monde en a vu assez, et pour son malheur il en verra encore ; mais c’est surtout dans le Nouveau-Monde qu’elles sont en quelque sorte la condition naturelle, le régime normal de ces populations qui ont tant de peine à s’organiser et à se fixer. Là les passions sont aux prises, et le plus souvent ce sont des passions