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qu’imprévues dont les pinceaux de M. Lehmann et de M. Muller ont décoré les voûtes du Palais de Justice et du nouveau Louvre, les édifices construits par MM. Duc, Labrouste et Baltard, les sculptures monumentales de MM. Dumont, Jouffroy, Guillaume, Cavelier et Perraud, enfin ce Mariage de sainte Catherine, gravé d’après Corrège par M. Henriquel-Dupont avec une souplesse de burin et une habileté incomparables, — de telles œuvres prouvent assez les mérites personnels et l’activité des artistes appartenant à l’Académie. Mais, depuis qu’on l’a dépossédée des fonctions qui lui étaient attribuées et que pendant plus de deux siècles l’ancienne Académie royale de peinture avait exercées avant elle, depuis que pour l’admission aux expositions annuelles, pour le jugement des concours à l’École des Beaux-Arts, pour les études des pensionnaires envoyés à Rome, on a cru devoir s’en remettre aux décisions d’un jury variable, aux hasards d’un tirage au sort ou aux fantaisies des intéressés, l’Académie des Beaux-Arts, en tant que corps, est devenue forcément aussi étrangère aux affaires de l’art proprement dites qu’aux encouragemens officiels qu’il reçoit. Elle ne pourrait donc guère employer qu’à huis clos son zèle et sa haute expérience, si le vaste travail qu’elle a entrepris ne lui fournissait une occasion d’en produire au dehors les témoignages et d’en répandre les enseignemens.

Il n’est pas impossible toutefois qu’aux yeux de certaines gens un peu trop enclins à juger des choses sur le titre, l’utilité de ce dictionnaire, si réelle qu’elle soit, paraisse d’abord contestable. On sait les objections que les écrits théoriques sur les beaux-arts soulèvent d’ordinaire dans notre pays et les préventions qu’ils y rencontrent. — A quoi bon, dira-t-on, prétendre définir l’indéfinissable, formuler une syntaxe là où il n’y a d’autres lois et d’autres règles que les inspirations du génie, d’autre principe que la nécessité du beau, mais d’un beau si changeant dans ses manifestations, si élastique dans les termes, qu’il échappe à tout procédé rigoureux d’examen et d’analyse ? Le beau pittoresque ne s’explique pas, il se sent. Le vrai lui-même n’est, dans les œuvres de l’art, ni fixe ni absolu : il se modifie en raison des préférences de chaque artiste et des exigences particulières de chaque tâche. Comment dès lors essayer d’en réduire les conditions mystérieuses en préceptes, et d’établir théoriquement une doctrine dont l’unité serait démentie d’avance par les faits, par les variations infinies de la pratique, par les caractères contraires des progrès successivement accomplis ?

Reste à savoir pourtant jusqu’où vont en ceci les droits et la fonction du sentiment. S’il tient lieu de tout dans le domaine des arts du dessin, si, pour faire acte de talent pittoresque ou plastique, les instincts de l’imagination suffisent, pourquoi aucun peintre, aucun sculpteur, fût-ce Raphaël ou Michel-Ange, n’a-t-il pu se révéler dès l’enfance et créer, à quinze ans par exemple, l’équivalent de ce que Mozart inventait au même âge ? D’où vient aussi que, sans une culture préalable et spéciale,