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Saint-Pétersbourg et fait agréer à Paris[1]. L’intérêt des Italiens en 1863 était tout tracé : Varsovie portait ombrage à Venise et menaçait de resserrer les liens entre la France et l’Autriche ; aussi travaillèrent-ils sur tous les points et d’un commun accord à faire échouer la politique de M. Drouyn de Lhuys. On sait les conséquences du manifeste du 5 novembre : il rejeta définitivement l’Autriche dans les bras des puissances du nord, il inspira à lord John Russell une dépêche acerbe et inconvenante qui envenima pour longtemps les rapports de la France et de l’Angleterre, il fut surtout fatal au Danemark. M. de Bismarck, qui avait jusque-là été très circonspect dans la question des duchés de l’Elbe, qui avait même conspiré sous main avec M. Quaade, l’envoyé danois, contre « la grande patrie allemande, » devint dès le 5 novembre entreprenant et hardi. L’Europe était en désarroi, tout accord entre les grandes puissances brisé : le ministre prussien découvrit le joint avec une rare sagacité, et, traînant l’Autriche à sa remorque, il occupa le Holstein (décembre 1863).

Pendant la guerre à jamais néfaste que firent les Allemands au Danemark (janvier-juillet 1864), la France se tint à l’écart, et déclina toutes les propositions anglaises d’une campagne diplomatique en faveur du traité de Londres. Quoi qu’on ait dit, ce ne fut pas uniquement la rancune contre la fameuse dépêche de lord Russell au sujet du congrès qui inspira une pareille attitude ; d’autres motifs encore vinrent s’ajouter pour recommander au gouvernement français une extrême réserve, — le respect, trop superstitieux à coup sûr, pour ce principe de nationalité qu’on prétendait engagé dans la question des duchés, la crainte beaucoup plus légitime de soulever contre soi les passions de la grande patrie allemande, l’effervescence de toute la race tudesque, enfin l’appréhension non moins justifiée d’être abandonné au milieu du chemin et au moment critique par ce cabinet de Saint-James qui, tout en sollicitant une action commune, ne voulut jamais prendre le moindre engagement, donner les moindres promesses pour l’éventualité cependant bien probable d’une guerre continentale, si les remontrances diplomatiques en faveur du Danemark devaient échouer[2]. Ce n’est pas toutefois que le cabinet des Tuileries ait pensé s’interdire l’action dans tous les cas ; bien au contraire, il attendait avec anxiété l’occasion opportune ; il avait ses espérances et faisait ses calculs. Il espérait d’abord que les effervescences tudesques au-delà du Rhin, les débats et ébats des états secondaires, donneraient naissance à quelque formation

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1865 (Deux Négociations diplomatiques).
  2. Voyez entre autres la très remarquable dépêche de M. Drouyn de Lhuys au prince de La Tour d’Auvergne, du 10 juin 1864.