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nouvelle, que du « grand tintamarre des cervelles » à Francfort, pour parler le langage de Montaigne, il sortirait une troisième Allemagne avec laquelle on pourrait causer. Il comptait aussi que, poussée à bout par les insolences de M. de Bismarck, l’Angleterre s’ébranlerait, et, après avoir tant de fois fait virer de bord sa grande flotte du canal, finirait par prendre le large. « Jetée à l’eau, elle nagera, » se disait-on alors dans certaines sphères de Paris, et pour ce moment prévu on voulait avoir « la main libre. » Dans les mêmes prévisions, l’Italie faisait de son côté des préparatifs et s’alignait derrière la France. En recevant une députation de la chambre, le 1er janvier, le roi Victor-Emmanuel exprimait l’espoir que l’année 1864 serait moins stérile que la précédente pour l’Italie, et déclarait entrevoir à l’horizon des complications « peu définies encore, mais propices. » Au commencement du printemps fut tentée l’enthusiastic exhibition de Garibaldi à Londres ; sa présence et les hommages que lui rendrait le peuple anglais étaient destinés à exercer une certaine pression sur la classe gouvernante de la Grande-Bretagne. Aucun de ces calculs ne devait toutefois se réaliser. M. de Bismarck écrasa dans son œuf la troisième Allemagne, que couvait de ses ailes M. de Beust, et M. Drouyn de Lhuys de ses regards. L’aristocratie anglaise prit le devant sur le peuple dans les ovations à Garibaldi : princes royaux, ministres, lords et duchesses firent pieusement le pèlerinage de Stafford-House, étouffèrent le héros sous les fleurs de l’éloquence, puis soudain, renouvelant la scène du Barbier, ils persuadèrent au lion qu’il était malade, et le renvoyèrent au plus vite à Caprera. Mise en garde contre certaines trames, la noble Angleterre aima mieux laisser protester sa signature, se déshonorer aux yeux du monde, abandonner la monarchie Scandinave, qu’elle avait tant protégée, garantie, morigénée et contenue ; elle refusa de nager ! Le Danemark fut démembré (juillet 1864), et de l’ensemble de ces étranges vicissitudes de la politique européenne se dégageait une situation assurément peu satisfaisante et même de nature à bien inquiéter la France.

Lorsque en effet commencèrent à tomber les flots soulevés de l’Elbe, ce qu’on put voir de plus clair dans la confusion générale des intérêts et des principes, ce fut le complet isolement du carnet des Tuileries. « Les quatre gouvernemens de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie sont maintenant très heureusement d’accord sur une question bien autrement importante que celle du Slesvig-Holstein, » avait déclaré le prince Gortchakof dès le commencent de l’année 1864[1] : on ne put guère douter

  1. Dépêche de lord Napier au comte Russell, du 6 janvier 1864.