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Bersac. Sa présence et son zèle me prouvèrent deux choses : Hortense s’était déclarée en faveur d’Étienne, et la famille du premier mari, au lieu de rompre en visière à la veuve, prenait en main les intérêts de l’intrus.

Cette dernière révélation ruinait tout simplement mon hypothèse. Si le petit monsieur épousait la cause d’Étienne, les passions, les calculs, le rôle ingrat que je lui avais prêté, toutes les pièces de mon argumentation tombaient à terre. Je me trouvais en présence d’un innocent vieillard, dévoué à Mme Bersac, de son père peut-être ! de son père, que j’avais horriblement jugé sur la foi d’une lettre mal lue et mal comprise ! Ma conscience n’était pas des plus rassurées, et pour comble d’ennui je pensais que le bon Étienne ne pouvait oublier ces propos désobligeants. Il n’était pas de ceux qui aiment à demi ; me pardonnerait-il d’avoir calomnié par passe-temps, dans un stupide jeu d’esprit, une famille qui devenait la sienne ?

A travers les scrupules qui m’obsédaient, les circonstances les plus insignifiantes prirent bientôt une couleur sinistre. Je me persuadai que, si je n’avais pu forcer la porte du grand écrivain, c’est qu’il m’avait personnellement exclu de sa présence ; s’il s’était échappé du Théâtre-Italien avant la fin du spectacle, c’était pour me fuir. La lettre qu’il m’avait promise, je l’attendais toujours ! Tant de froideur après une sympathie si brusquement déclarée !

Plus de doute, mon commentaire ingénieux sur le texte de Mme Bersac me coûtait un ami.

J’en étais là de mes réflexions, quinze ou vingt jours après la vente, quand je reçus par la poste un paquet volumineux. C’était une enveloppe contenant sept lettres d’Étienne, dont une seule à mon adresse, la voici :

« Mon cher ami, je te devais un mot de recommandation, j’ai tardé, je m’exécute et je t’en expédie une demi-douzaine ; tu n’auras rien perdu pour attendre. Hâte-toi de frapper aux bonnes portes ; jamais l’occasion ne fut meilleure, ma retraite fait de la place.

« Oui, les jeunes qui m’accusaient de barrer toutes les avenues vont pouvoir circuler, si tant est qu’ils aient des jambes. J’ai suspendu la plume au croc, le public n’entendra plus parler de moi ; c’est chose dite et jurée ; tu peux en faire part aux amis et aux ennemis.

« Depuis notre dernière et notre première rencontre, j’ai été le plus heureux des hommes et le plus accablé des forçats, j’ai achevé une existence de labeur, commencé une vie d’amour, épuisé plus de soucis et plus de joie qu’il n’en faudrait pour tuer un hercule. Au demeurant, je me porte bien.