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faits, depuis trois mois et plus, pour tirer une dernière mouture de mon sac. Je suis courbatu, épuisé, écœuré. Le peu que j’avais à dire, je l’ai rabâché dix fois pour une : le public se noie dans ma prose. Je lui donne ma démission ; qu’il cherche ses plaisirs ailleurs, qu’il appelle des rieurs moins las et des amuseurs moins ennuyés !

« — Quoi ! vous n’écrirez plus ?

« — Non.

« — Sérieusement, vous ne voulez plus rien mettre sous presse ?

« — Excepté les lettres de part que nous expédierons dans huit jours.

« — Votre parole d’honneur ?

« — Mon cher monsieur, la parole d’un honnête homme est toujours parole d’honneur.

« — J’en prends acte, mon digne ami !

« Que ne puis-je te dessiner les mille grimaces de contentement qui ridaient sa petite figure ? J’ai fait un heureux marché, car, entre nous, je n’attendais qu’une occasion pour donner la littérature au diable. Quand je retourne la tête vers mon passé, je ne vois que sottises en action, en parole et en écriture. Et dire que je me suis cru poussé vers cette ornière par une espèce de vocation ! Mon cher, il n’y a qu’un chemin dans la vie qui ne soit pas un casse— cou, c’est celui où je compte me promener trente ans de suite dans une calèche à huit ressorts avec Hortense. Aimer, être aimé, vivre en joie, lorgner philosophiquement les vices et les ridicules d’autrui, voilà le seul lot enviable. Tu n’en crois rien ? attends. Tu es jeune, l’ergot te démange, tu hérisses la crête en aiguisant ton bec : va, mon bonhomme, jette ton feu ; mais si l’occasion se rencontre à mi-route, fais comme moi, suis l’exemple de celui qui, pouvant devenir un fameux coq de combat, a choisi d’être un coq en pâte.

« Etienne. »

Cette lettre aurait dû me réjouir à plus d’un titre : elle m’ouvrait les portes les mieux closes, elle me rassurait sur les sentiments d’un ami, elle rendait justice à mon diagnostic, elle m’instituait en quelque sorte le légataire spirituel d’un vivant, puisque seul à Paris je pouvais annoncer et commenter la retraite d’Étienne. Cependant j’en fus atterré.

Peu m’importait do le savoir circonvenu et même dépouillé par ce vieux malin de Bersac : les affaires ne sont que les affaires, c’est-à-dire un détail de troisième ordre dans la vie des êtres pensants ; mais qu’un homme d’avenir eût abdiqué son art, soit volontairement par dégoût, toit par faiblesse pour lever les scrupules d’une famille inepte, voilà ce qui me crevait le cœur. Si personne ne lui