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n’est pas permis de déroger à ce principe, qui assure l’absolu désintéressement de la conscience, et Mirabeau, recevant en secret le salaire de son éloquence, ne saurait échapper aux censures de l’histoire. D’un autre côté, comment ne pas reconnaître, au moins comme circonstance atténuante, qu’il ne se plia jamais aux préjugés ni aux passions du parti qui le payait, et qu’il garda jusqu’au bout, non pas seulement l’apparence, mais encore la réalité d’un libre jugement. Dans son entourage le plus intime, personne, à l’exception du comte de La Marck, ne suspectait sa parfaite indépendance. Lorsque ses ennemis l’accusaient d’être vendu à la cour, lorsque l’on colportait dans les rues de Paris la grande trahison du comte de Mirabeau, ces attaques, qui à des époques moins tourmentées ont poursuivi les plus purs caractères, passaient pour de banales calomnies. Frochot, son exécuteur testamentaire, les repoussait avec mépris. Il avait vérifié ses papiers et sa correspondance, il n’y avait rien trouvé de suspect ; il n’avait découvert que des dettes, et ce fut avec l’émotion la plus sincère qu’il vint demander à l’assemblée de payer les funérailles de Mirabeau, mort insolvable.

Après la mort de Mirabeau, Frochot se rallia naturellement au parti constitutionnel. Celui-ci, tout en déplorant les fautes de la cour, voulait sauver la royauté et arrêter les progrès de l’idée républicaine, qui déjà commençait à s’exprimer ouvertement dans les clubs. Frochot ne parut que rarement à la tribune. Ce fut lui cependant qui souleva devant l’assemblée la première motion relative à la révision de la constitution. Modeste pour lui-même, il était modeste également pour la grande œuvre à laquelle il venait de coopérer ; il ne croyait pas que la constitution dût être éternelle, et il désirait voir régler d’avance la procédure d’une révision qui conciliât la stabilité du régime représentatif avec le droit de réformer le pacte constitutionnel selon la volonté de la nation. Le discours qu’il prononça sur ce grave sujet lui mérita l’estime de ses collègues et les félicitations affectueuses de ses amis. « Ce discours, lui écrivit Cabanis, comptera pour votre gloire. Votre timidité vous a commandé, et il fallait écarter ce je ne sais quoi qui tourmente tout homme qui vaut quelque chose. » La tribune n’a jamais appartenu aux timides. Frochot était plus à l’aise dans les discussions intimes des comités et dans l’étude des projets de loi, qui exigeaient les notions de législation pratique auxquelles ses précédentes fonctions l’avaient préparé. Il rédigea presque en entier la loi sur le notariat. Il prit part au débat sur l’organisation judiciaire, et il vota, d’accord avec la majorité, l’élection des juges par le peuple. Étrange revirement des opinions ! aux yeux de bien des gens, on passerait