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les fatigues des champs. Laërte se consolait comme il pouvait dans sa vigne de son incurable douleur depuis le départ d’Ulysse. Combien de vieux soldats, de généraux même, après Waterloo, recoururent à la bêche, à la charrue, et y cherchèrent la distraction de la défaite, l’oubli de l’affront national, avec acharnement et une sorte de rage ! Frochot, à sa manière, faisait ainsi. Comme ce vieillard de Térence qui se punit d’une erreur et qui se venge d’un secret chagrin, il se donnait bien de la peine et de la sueur à remuer la terre et à labourer son champ ; mais pour cela il n’était nullement devenu misanthrope. Une médaille d’argent qui lui fut décernée une fois pour la culture de la pomme de terre, très encouragée alors, le rendait tout lier et lui causait un innocent plaisir. Les joies de la famille lui restaient. La mort d’un fils, en qui il revivait et sur la tête duquel il reportait l’avenir, hâta sa fin. Il mourut six semaines après l’avoir perdu, le 29 juillet 1828. Au résumé, ne le trouvez-vous pas ? cette vie du comte Frochot, même avec cet éclat et ce coup de foudre qui la brise, a une harmonie et fait un ensemble. »

Il y a du drame en effet dans cette existence qui a traversé toute la révolution au milieu des péripéties que nous avons essayé de décrire, et avec les alternatives de l’heureuse fortune et de la disgrâce. Frochot fut protégé, dès ses débuts à la constituante, par l’amitié de Mirabeau, qui lui donna ce premier degré de notoriété par lequel s’élèvent les hommes publics, et qui l’éclaira d’un premier reflet. Retiré dans sa province, il tint tête à la terreur, et ces heures de périls et de courage doivent lui être comptées ; mais ce fut sous l’empire qu’il arriva en pleine lumière. Chargé de la préfecture de la Seine, il fit preuve des plus rares qualités administratives, d’un amour ardent pour le bien public et d’un désintéressement personnel qui lui valut d’éclatantes marques d’estime. Il ne résista point à l’empereur, à qui personne ne résistait ; mais on n’aperçoit point que son dévoûment ait été servile. L’empire ne pouvait pas produire d’esprits politiques, encore moins de caractères ; il produisit d’habiles administrateurs. Frochot mérite une place parmi les fonctionnaires qui ont réorganisé nos grands services publics, et dont les traditions sont aujourd’hui encore invoquées avec respect. Aussi les documens nombreux qui se rattachent à sa biographie ont-ils fourni à M. L. Passy la matière d’une étude complète et très instructive sur l’administration de la ville de Paris ; c’était le meilleur hommage qui pût être rendu à la mémoire du premier préfet de la Seine.


C. LAVOLLEE.